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Si les récits de Tolkien sont remplis de bruits et de fureur, le créateur de la terre du Milieu n’aurait pas pu imaginer les 10 années de chaos qu’a dû traverser Jackson pour parvenir à sortir Le Hobbit : un voyage inattendu. 10 ans pour revenir en terre du milieu et révolutionner le cinéma (3D, HFR - le fameux 48 images/secondes - et utilisation révolutionnaire du numérique)... Mais 10 ans de procès, d’ulcères, de tremblements de terre, de faillites et de guerres syndicales. Retour sur les 7 dates où le Hobbit a bien failli s’arrêter.Episode 1 : Jackson VS New Line - “Je ne ferai plus de films avec ce mec, avec Peter JacksonNew Line, c’est le studio qui a produit la trilogie du Seigneur des Anneaux. Si la relation entre le réalisateur et ses producteurs semble au début harmonieuse, en coulisses le tournage ressemble à un horrible cauchemar. Alors que Jackson fait économiser des millions de dollars à la société en ayant choisi de délocaliser son tournage en Nouvelle-Zélande et en tournant les trois films en même temps, Robert Shaye, patron de New Line, multiplie les coupes budgétaires sur la production. Le carton mondial du premier opus ne change rien... Au contraire. Les tensions s’aggravent, les conflits fiscaux également. En 2005, quatre ans après la sortie de La Communauté de l’anneau, Jackson, persuadé d’avoir été escroqué par New Line, demande un audit sur les comptes du film. En novembre 2006, dans une lettre écrite à sa femme/scénariste Fran Walsh, Jackson lui explique que ce conflit judiciaire l’empêchera de réaliser Le Hobbit. Réponse de Shaye quelques semaines plus tard : “Je ne ferai pas un film avec quelqu’un qui me poursuit en justice. Je ne veux plus bosser avec ce type. Il ne fera plus de film avec New Line tant que je serai le patron du studio”. Shaye aurait alors démarché tous les cinéastes fantasy-friendly d’Hollywood pour le remplacer - les noms de Sam Raimi, David Yates ou Brett Ratner (et oui) circulent, à la grande stupeur des fans. La communauté se met en branle, appelle au boycott de New Line, pendant que les ayant droits et même quelques acteurs crient au scandale. Début 2007, Le Hobbit est mal parti. Mais Shaye est obligé de faire marche arrière en août. “Peter est un homme que je respecte et que j’admire. J’adorerai qu’il fasse partie de l’aventure Hobbit,” affirme le patron amnésique de New Line.Episode 2 : Les héritiers de Tolkien VS New Line - 62 000 dollars pour un anneau ?La même année, un autre combat judiciaire commence. Le Tolkien Estate et l’éditeur Harper & Collins attaquent New Line pour rupture de contrat. New Line n’aurait pas respecté le contrat initial (7% des profits de chaque films devaient revenir aux ayant-droits qui n’auraient reçu du studio que 62000 dollars). Si le procès porte sur la trilogie du Seigneur, il bloque surtout la production du Hobbit. Il faudra attendre 2009 pour qu’un accord ait lieu entre les deux parties (et le montant du gros chèque reste inconnu). Mais, en 2008, tout le monde pense que Le Hobbit ne se fera jamais.Episode 3 : Où Peter Jackson abandonne et Del Toro arrive à la rescousse - “Je filmerai le Hobbit seul, sans Peter”Malgré les procès en cours, la production du film continue. Mais Peter Jackson, épuisé, décide de ne pas le réaliser. Il garde tout de même le contrôle artistique et si tout le monde pense que Shaye a eu sa peau, Jackson prend bien soin d’expliquer que la décision de jeter l’éponge est sienne. D’ailleurs, c’est lui qui écrit le script, lui qui impose la Nouvelle Zélande comme lieu de tournage et lui enfin qui annonce en avril 2008 le nom de son successeur. Guillermo Del Toro. Les fans sont comblés. Avec Del Toro, Le Hobbit est entre de bonnes mains. Pape du fandom, créateur sensible et illuminé, génie de la fantasy, c’est le client idéal. Pendant 2 ans, le Mexicain multiplie les Aller-retour en Nouvelle-Zélande, prépare le film avec le duo Walsh/Jackson, innonde les producteurs de croquis et de dessins préparatoires... Les créatures prennent vie, les séquences de bataille s’animent et le film naît (à base d’animatroniques). On parle même d’un casting préparatoire (avec Ron Perlman ? Ian Holmes, Doug Jones ou Brian Blessed ?). C’est parti. Sauf que...Episode 4 - La banqueroute de la MGM - “tant que la situation du studio n’est pas réglée, on ne peut pas avancer”Sortez l’aspirine. A la fin des années 60, Tolkien vend les droits de ses livres à United Artist. UA se sépare très vite de ce trésor de guerre et vend les droits de production au producteur Saul Zaentz tout en conservant les droits de distribution... Lorsque le studio frôle la faillite - en 81 - c’est la MGM qui récupère le pactole. 25 ans plus tard, alors que New Line et Jackson sortent à peine du procès, MGM propose de co-produire le film. New Line et MGM parviennent très vite à un accord financier et annoncent en février 2008 que Le Hobbit sera un film en deux parties - chaque film étant budgété à 150 millions de dollars. La production démarre, les scénaristes planchent et on attend plus que le feu vert des studios pour lancer le tournage. L’ennui, c’est que en 2010, la MGM connait de graves difficultés financières. Et le tournage doit être constamment reporté. Le 28 mai 2010, Del Toro en a assez. Il explique que les difficultés de la MGM l’empêchent d’avancer sur le film. “On a designé les créatures, on a imaginé les costumes, on a fait des animatroniques, plannifié les séquences d’action. Nous sommes très très bien préparés, mais tant que la situation de la MG n’est pas réglée, on ne peut pas avancer”.  Après un an de négociations, le studio est contraint de céder ses droits de distribution à la Warner. La production aura été reporté de deux ans supplémentaire... Retour à la case départ.Episode 5 - Guillermo Del Toro quitte la terre du Milieu et Peter Jackson revient - “son ADN est encore là, mais on a repensé le film depuis le début”Lassé de vivre sur deux continents, appelés sur d’autres projets, Del Toro quitte donc le navire. Deux ans avec les moutons et les dodos, d’accord. Six ? Non. Début juin 2010, c’est le coup de grâce : “vu les reports constants du début de tournage, je me retire du projet. Mais je reste un allié du film et de ses producteurs”, dixit Guillermo. Nouveau coup dur pour Le Hobbit -et pour Jackson surtout. En pleine production du Tintin de Spielberg, Jackson annonce qu’il reprend les rênes du projet. “Quand il est parti, je n’avais pas beaucoup de choix : soit je cherchais un autre réalisateur, soit je m’en emparais, soit je laissais tout tomber. J’ai longtemps hésité à le faire : je pensais que celui qui réaliserait Bilbo devrait apporter quelque chose de neuf par rapport à la trilogie... j’étais persuadé que je n’y arriverais pas. Du coup, quand j’ai décidé de replonger, je me suis demandé : “si j’arrivais dans l’aventure, maintenant, où est-ce que j’aurais envie d’aller ?” En tout cas, pas forcément dans la même direction que Del Toro. “Quand il est parti, j’ai repris ses designs. Ils sont très... Guillermesque ! Ca ressemblait beaucoup au Labyrinthe de Pan et à Hellboy. C’était sa vision artistique et je ne pouvais pas faire SON film. La seule personne capable de faire un film de Guillermo Del Toro, c’est Guillermo Del Toro. Certainement pas moi. J’ai donc redesigné le film... Son ADN est encore là - j’ai gardé des trucs cool qu’il avait imaginé - mais le film a été repris à zéro."Episode 6 - La grève et le boycott - “N’acceptez pas de travail sur la production du Hobbit”Fin 2010, le syndicat d’acteurs de la Nouvelle-Zélande demande à la production du Hobbit de revaloriser leurs droits. Devant le harcèlement du syndicat, Peter Jackson menace de délocaliser le tournage - il pense à l’Irlande ou à l’Europe de l’Est. Les syndicats appellent alors au boycott de la production : “Refusez de travailler sur cette production internationale”, lance même la Guilde des acteurs hollywoodiens à tous ses membres. Jackson est furieux : “c’est clair, on nous attaque parce qu’on est une grosse cible bien juteuse. C’est comme si un cousin australien nous balançait du sable dans l’oeil- ou pour être plus explicite, un opportuniste qui profite de notre film pour atteindre ses objectifs politiques et corporatistes”. Les Kiwis manifestent pour garder le film en Nouvelle-Zélande et il faudra l’intervention du Premier ministre néo-zélandais pour calmer la situation. Une "loi Hobbit" est alors votée au parlement pour aménager la législation.Episode 7 - L’ulcère de Peter Jackson et le film inattendu - “Et si on en faisait 3 ?”Février 2011, A quelques semaines du tournage, Peter Jackson est hospitalisé. Diagnostic : ulcère perforé. A peine sorti de l’hosto, il fonce vers les studios de Stone Street et donne le premier clap.  Tout est bien qui finit bien ? Comme si toute cette histoire ne sufisait pas, 15 mois plus tard, Peter Jackson se lance un nouveau défi. “On regardait certaines scènes qu’on allait être obligé de laisser tomber. Et on planifiait les reshoots de 2013... Et puis, progressivement, on s’est dit : “et si c’était une trilogie ? Et si on en faisait 3 ?” De deux films prévus, Jackson se lance donc dans une nouvelle trilogie. Ironie de l’histoire, on se souvient que c’est Robert Shaye le patron de New Line qui avait “fortement” suggéré à Jackson de réaliser une trilogie du Seigneur des Anneaux (contre les 2 films prévus par le cinéaste), ici c’est l’équipe de Jackson qui réclame un troisième film. Mais pour des raisons de storytelling. Philippa Boyen confirme : “on ne l’aurait pas fait si l’histoire n’était pas là. Ce fut surtout l’opportunité de raconter une épopée qui sinon serait resté dans un placard. Ce n’est pas un cross over, un film supplémentaire pour le plaisir ou pour l’argent. C’est vraiment des choses qui se passent dans Le Hobbit”. La trilogie du Hobbit était définitivement lancée. Le 12 décembre prochain, le premier film sortira sur les écrans français, à la fois point final d'une production épique étalée sur dix ans et promesse d'un nouveau voyage magique dans la Terre du Milieu que Jackson n'avait finalement jamais abandonnée.Pierre Lunn