Avant de recevoir l'Oscar de la meilleure adaptation pour ce film réussi, il avait été acclamé pour Cet être extraordinaire, co-écrit avec Damon Lindelof.
En recevant ce week-end un Oscar pour son travail d'adaptation du livre Effacement, de Percival Everett, sur son premier film American Fiction, Cord Jefferson a livré un discours fort, remerciant ses producteurs d'"avoir fait confiance à ce quadra noir et sans expérience dans le cinéma", et poussant les patrons de studios à engager davantage de nouvelles voix, et à produire plus de petits films :
"Je comprends que ce soit une industrie risquée, mais vous savez, produire des films à 200 millions de dollars, ça aussi c'est un risque. Cela ne marche pas toujours, mais ce risque est pris. Alors plutôt que de faire un film à 200 millions de dollars, essayez d'en faire dix à 20 millions ? Ou alors cinquante à 4 millions ? Il y a tellement de gens qui aimeraient ça."
#AmericanFiction writer Cord Jefferson wins best adapted screenplay at the 2024 #Oscars pic.twitter.com/APq1TBG0eL
— The Hollywood Reporter (@THR) March 10, 2024
American Fiction, c'est l'histoire d'un écrivain tellement blasé de subir des clichés sur les Noirs-Américains qu'il décide de se défouler en rédigeant lui-même un roman bourré de stéréotypes, espérant que cette dénonciation fera mouche. Elle cartonne, mais pour de mauvaises raisons, et l'homme se retrouve piégé par sa mauvaise blague.
Jeffrey Wright est génial dans le rôle, et le film fonctionne parfaitement sur le plan de la satire pleine d'ironie et de colère, mais aussi en tant que drame intime et familial.
Aucun doute : Cord Jefferson est lui-même un auteur talentueux. D'ailleurs, avant de réaliser son premier film, il avait été remarqué pour son écriture, notamment pour celle d'un épisode phare de la série Watchmen, conçu en duo avec Damon Lindelof.
L’épisode 6, "Cet être extraordinaire" ("This Extraordinary Being" en VO), fut un choc pour le public lors de sa diffusion en novembre 2018. Retraçant le massacre de Tulsa, une sombre page méconnue de l'histoire américaine, il plaçait au cœur de l'intrigue un personnage secondaire des comics d'Alan Moore et Dave Gibbons, Hooded Justice. Contrairement aux BD où la véritable identité du super-héros n'était jamais pleinement révélée, elle était ici au cœur de l'histoire, et son récit personnel croisait avec brio celui de l'Amérique toute entière.
Watchmen : Damon Lindelof explique pourquoi il a démasqué Hooded Justice"Un twist aussi aussi bluffant qu’imparable", écrivait Première à ce propos à l'époque, mais attention aux spoilers : le reste de notre critique détaille les éléments clés de cet épisode.
"Le Justicier Masqué est noir, et c’est le grand père d’Angela (Regina King). C’est la seule manière d’expliquer, selon le showrunner, pourquoi l’identité du membre des Minute Men n’avait jamais été dévoilée :
"Il devait être afro-américain et devait cacher son identité parce que vous ne pouviez pas être un super-héros noir dans les années 1940", a expliqué Lindelof. "Il aurait été littéralement assassiné si son identité était connue. Cette idée m'a vraiment fait trembler, mais je n'ai pas pu me l'enlever de la tête. Et toute la saison a été consacrée à essayer de réussir cette histoire de manière authentique."
Damon Lindelof joue avec Watchmen, s’amusant à combler les trous tout en respectant le "canon" d’Alan Moore. La couleur de peau du Justicier Masqué s’ajoute ainsi à son homosexualité, et sa relation avec Capitaine Metropolis, qui est elle attestée dans les comics. Deux raisons pour lui de vivre caché. Moore n’avait pas tranché le destin du Justicier, qui s’était volatilisé après l’interdiction du port du masque sans qu’on sache s’il était mort, et quand. Une brèche parfaitement exploitée par Lindelof qui a fait de Will Reeves un centenaire toujours déterminé à faire le bien mais rongé par cette vie de secret. Et qui réalise qu’il a transmis, bien malgré lui, le virus du vigilante à sa petite fille."
Si à l'époque le crédit avait surtout été mis au créateur du show, d'autant plus que son écriture sur cette série rappelait des éléments phares de Lost ou de This is Us, il y a aussi un lien indéniable entre le travail de Cord Jefferson sur cette série et celui qu'il vient d'accomplir sur American Fiction. Une manière de replacer l'histoire des Noirs-Américains au cœur de celle du pays tout entier, et une réflexion sur les clichés et ce que l'on transmet (à nos petits- enfants ou via nos romans). Lier l'intime avec l'Histoire avec un grand h n'est pas chose aisée, et le duo de scénaristes s'en est parfaitement tiré : il a d'ailleurs reçu en 2019 un Emmy Award pour le scénario de leur adaptation de cet épisode en particulier de Watchmen.
Avant cela, Cord Jefferson avait participé à d'autres séries à succès telles que Master of None, d'Aziz Ansari ou The Good Place et Succession, puis il a développé Gawker et Station Eleven pour Apple TV+ juste avant de signer pour réaliser American Fiction. Qui, quelques mois avant de recevoir l'Oscar du meilleur scénario adapté, avait remporté le prix du jury dans le cadre du TIFF, le festival international du film de Toronto.
La bande-annonce d'American Fiction, disponible sur Prime Video :
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