Comment a été imaginée la nouvelle série criminelle événement d'Apple ? Son scénariste nous parle de ses influences, du rôle de Ridley Scott et de la place de Philadelphie dans cette histoire de braqueurs dépassés par les événements. Interview.
Excellent scénariste de The Town (2015) et The Batman (2022), Peter Craig fait équipe avec Ridley Scott pour adapter le roman Dope Thief en un thriller intense, qui explore les bas-fonds de Philadelphie, à travers la cavale deux escrocs à la petite semaine, qui ont braqué les mauvaises personnes... Rencontre.
PREMIÈRE : Qu'est-ce qui vous a attiré dans le roman de Dennis Tafoya et vous a donné envie de l’adapter en série télévisée ?
PETER CRAIG : J’ai toujours beaucoup aimé les histoires d'escrocs, que ce soit dans les films ou les livres. Et moi-même, en tant qu’auteur de romans policiers, j’ai souvent écrit dans ce genre-là. J'adore les gens qui se déguisent pour faire des coups, c'est une excellente base pour parler des personnages, parce que ça veut dire qu’ils n’arrivent pas à s’accepter au fond. Donc, quand j'ai lu le livre de Dennis Tafoya, j’ai tout de suite compris ce que j’allais pouvoir en faire à l’écran. Même si je n’adapte concrètement que la première partie du roman.
Est-ce une histoire vraie ? Ou est-ce inspiré d’événements réels ?
C’est un petit peu inspiré d’une histoire vraie, parce que Dennis a trouvé cette histoire en lisant des articles de journaux, au début des années 2000. Des gars qui se sont fait arrêter après s’être grimés en agents de la DEA. Parce que oui, ça s’est passé (rires). Il y a des gens qui font ça ! Tout existe de nos jours.

La série repose beaucoup sur la dynamique entre les deux personnages principaux. Comment avez-vous construit cette relation entre Ray et Manny ?
Pour moi, ce sont deux potes qui sont liés depuis l'enfance par le traumatisme. Ils se sont rencontrés en maison de redressement, ils ont grandi ensemble dans ce cadre très dur. Il y a cette fraternité très forte, cette idée qu’ils ont été dans les tranchées ensemble, si vous voyez ce que je veux dire. Sauf que cela crée une forme de codépendance qui ne leur permet pas de dépasser ce trauma. On est lié par des traumatismes d’enfance et c’est assez tragique au fond. Ces gars sont pris dans une spirale négative. Brian Tyree Henry et Wagner Moura jouent ça à la perfection. Ils sont devenus copains très vite durant le tournage, ils sont allés dîner ensemble régulièrement et ce qui était une relation de collègues qui se respectaient est devenue une vraie histoire d’amitié.
Pourquoi est-ce qu'ils font ce qu'ils font selon vous ?
Le quartier dans lequel ils vivent est tellement pourri par la drogue, qu’ils ne peuvent pas vraiment empirer les choses. Donc autant qu’ils aient droit à une part du gâteau. Ou plutôt leur part du chaos, comme ils disent. Après, ils ont un sens moral. Ils ne sont pas aussi violents que les voyous qu’ils dépouillent.
La série parle effectivement de choix, de boussole morale. Comment on capture ces enjeux sans tomber dans le mélodrame ?
Brian Tyree Henry et Wagner Moura apportent une légèreté évidente. J’en ai parlé avec eux dès le départ : ma théorie est que dans ce genre de situations terribles dans lesquelles ils se retrouvent, il faut plaisanter ! On fait des blagues pour désamorcer la pression, la tension. C’est ce qui donne ce ton un peu décalé à la série, une sorte d'humour noir pour survivre.

Le lieu aussi est crucial dans Dope Thief, presque comme si la ville de Philadelphie elle-même était un personnage. C'était très conscient de votre part ?
Oui, on a pensé Philadelphie comme un personnage à part entière. Ces gars font partie de Philly. Ils sont loyaux envers la ville, pour ainsi dire. Au point où ils ont peur d'en partir... même si fondamentalement, ils auraient plus de chance de s'en sortir voire de survivre ailleurs ! Partir, ce serait comme se couper un bras pour eux. Donc ils se cachent dans les recoins de Philly, qu’ils connaissent par cœur. Cela donne à la série une atmosphère assez claustrophobe.
The Wire avait fait ça aussi avec la ville de Baltimore...
Oui, c’est vrai, il y a de ça. J’adore la ville de Philadelphie. J’avais fait un peu la même chose avec Boston, quand j’ai écrit The Town pour Ben Affleck. Mais les quartiers de Boston ne sont pas vraiment aussi durs que ce qu’on montrait dans le film. Surtout aujourd’hui, où ils ont été largement gentrifiés. Philadelphie a résisté à ça. Elle reste égale à elle-même, quoi qu’il arrive, de manière un peu butée. C’est vraiment une cité avec du caractère, qui ne se laisse pas faire, qui affirme sa personnalité. C’est génial pour écrire des histoires, parce qu’on y trouve des personnages plus authentiques, des locaux enracinés dans leurs quartiers. Pour moi, Dope Thief est aussi une sorte d’hommage à la sincérité qui transpire de la ville.
Quelles ont été les principales influences, tant sur le plan du genre que de la narration, qui ont façonné le ton et le style de Dope Thief ?
On a beaucoup parlé de couleurs avec Ridley Scott et Erik Messerschmidt, le directeur photo. On a voulu cette image très grise, de crépuscule éternel. Erik avait apporté des photos du film Fargo (1996) des frères Coen, pour nous donner une idée de ce qu'il voulait faire, s'inspirant de ces images délavées, mais tirant plus encore vers le gris. On a vraiment l'impression d'être dans un hiver sans fin. Sur le ton, je suis allé chercher les polars des années 1970. J’ai toujours adoré comment ces films arrivent à alterner des moments très durs et des moments très drôles. Le meilleur exemple, c’est Un après-midi de chien de Sidney Lumet (1975) que j’ai vu un millier de fois. Il y a cette idée d’injecter de la comédie dans des moments qui semblent tellement ancrés dans le réel.

Ridley Scott est impliqué en tant que réalisateur du premier épisode et producteur exécutif. Quelle a été son influence sur la série ?
Il a eu un énorme impact sur la série, notamment sur son esthétique, le style visuel de Dope Thief, qu’on a essayé d’établir dès le pilote que Ridley a réalisé. Et puis il a donné le rythme trépidant de la série. Tout le monde lui a emboîté le pas.
En regardant votre carrière, Dope Thief semble être une histoire plus intime comparée à vos gros projets précédents comme The Batman. C’était un choix délibéré ?
C’est marrant que vous disiez ça, parce qu’on a vraiment essayé de faire The Batman comme un film intimiste. On a voulu incorporer cette approche indé dans un gros blockbuster. C’est ce que Matt Reeves m’avait suggéré. Un soir, je suis allé le voir dans son bureau et il m’a dit : "Je veux faire un Batman indé !" Je voudrais qu’il soit sensible, un peu émotif, quelque chose qui ressemble à un Kurt Cobain. Pendant des mois, on a bossé pour écrire un personnage qui soit cohérent avec les comics, mais qui soit en même temps à deux doigts de la maladie mentale. Un type très réel. Maintenant, je ne travaille pas sur le script de The Batman 2. Parce que j’ai passé les trois dernières années à écrire Dope Thief et donc Matt est en train d’écrire la suite avec Mattson Tomlin.
Dope Thief, à voir sur Apple TV+ et Canal + en France depuis le 14 mars 2025.
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