Comme son titre ne l’indique pas, Douglas is Cancelled est moins une satire du progressisme 2024 que le récit bouleversant d’une trahison sur fond de retweet, de course à l’audimat et d’agressions post-Weinstein. Un sommet de télé UK disponible sur Arte.TV.
Ouh que ça faisait peur : une mini-série à propos de la fameuse « cancel-culture » écrite certes par un génie, l’Anglais Steven Moffat, qui est aussi devenu un monsieur aux tempes grisonnantes et à la soixantaine bien dépassée. Vraiment on le sentait mal, notamment parce qu’il fallait bien constater que la virtuosité insolente de notre showrunner-chouchou semblait s’émousser à mesure que les annuités retraite s’accumulaient (son épisode récent pour Doctor Who est accablant et on a encore en travers de la gorge son Dracula pour Netflix ou la dernière saison de Sherlock). Il y avait bien eu le coup d’éclat The Time Traveler’s Wife diffusé sur OCS en 2022 (vous ne l’avez toujours pas vu, c’est une erreur tragique), mais il y était surtout question de paradoxes temporels - le petit pêché mignon de Moffat - et pas de satire socio.
Bref, les quatre épisodes de Douglas is Cancelled ressemblaient surtout à une promesse de bronzer de mauvais poil ou d’avaler sa Piña colada de traviole. Et ce n’était pas la critique très positive du très conservateur The Times, seul véritable défenseur du show dans la presse britannique, qui allait nous rassurer, brrrrrr…
Blague misogyne
C’est pourtant bien le quotidien de Rupert Murdoch qui a délivré le bon diagnostic : Douglas is Cancelled, c’est de la grande télé, un super instantané qui s’empare de tous les hashtags du moment, comme dans L’Heure des pros, mais débouche sur de l’imprévu, du bouleversant et des chausse-trappes qui feraient même vaciller Eugénie Bastié. Comme elle, le Douglas du titre se définit en tant que journaliste, mais s’avère surtout être un accro aux plateaux télé et à la notoriété. Contrairement à Eugénie, c’est aussi un centriste un peu mou, et désormais un vieux monsieur qui sent qu’il a fait son temps. En attendant la retraite, il cartonne dans un talk-show propre sur lui, co-présenté aux cotés d’une jeune femme, Madeline, dont la popularité va bientôt le dépasser.
Ce n’est pas vraiment un souci pour Douglas, non, son vrai gros problème ces derniers temps c’est plutôt ce tweet, d’abord passé sous le radar, qui s’offusquait d'une blague misogyne qu'il aurait racontée à un mariage. Madeline a tenu à répondre et à prendre la défense du gentil Doug, qui est non seulement son ami, mais aussi son mentor. Sauf que cela a évidemment donné une visibilité colossale au message original. Mince alors. La dévouée Madeline aurait-elle savonné la planche du vieux bedonnant ? Douglas va-t-il se faire cancel ? Et le scénariste de cette série déteste-t-il les femmes, surtout quand elles sont jeunes et douées ?
Steven Moffat aurait probablement fait un très mauvais chroniqueur pour L’Heure des pros : chez lui, les choses sont toujours beaucoup plus complexes qu’elles n’en ont l’air. De fait, Douglas is cancelled est un récit à twists, parfois un peu trop bien huilés, qui pratique mieux que tous les autres l’art de la punchline à double sens et du contrepied. On s’imagine barboter dans une satire du progressisme bon teint, on se retrouve dans un mélodrame qui tord le bide et laisse les yeux embués.
On perçoit l’exécution impec de la sitcom anglaise adulte, puis on se fait transbahuter le temps d'un épisode, le troisième, dans un thriller asphyxiant et les 40 minutes de télé les plus glauques de 2024. Pas sur que cette histoire de tweet, de retweet et de reretweet survivent bien à la mort des réseaux sociaux (c’est pour bientôt, vous l’ignoriez ?), mais vous ne verrez actuellement rien de plus aiguisé sur l’époque.
Douglas is Cancelled, quatre épisodes à voir sur Arte et Arte.TV.
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