Un drame sur la violence domestique déguisé en huis clos Renaissance, en compétition à Cannes.
Le Jeu de la reine (on peut préférer le titre anglais : Firebrand) raconte l'agonie d'Henry VIII, roi d'Angleterre au beau milieu du 16ème siècle, celui aux six femmes -sa mort lente et peu glorieuse d'une vilaine infection de la jambe, le tout surtout envisagé du point de vue de sa toute dernière femme, Catherine Parr. Une femme éclairée, lettrée et compétente, qui se retrouve menacée de toutes parts alors que la fin du roi approche. Le réalisateur brésilien Karim Aïnouz, qui tourne ici en anglais dans les dentelles du 16ème siècle, se cogne un peu dans les murs du huis clos historique, et ne convoque pas la même puissance d'émotion totale de son film précédent La Vie invisible d'Eurídice Gusmão (à rattraper d'urgence, d'ailleurs). Ici, c'est l'efficacité qui prime, les deux heures du film filent à toute vitesse et par la grâce du montage toujours hyper fluide d'Aïnouz (Eurídice Gusmão était un vrai modèle dans le genre, traversant cinquante ans en 2h15), Firebrand se transforme en un thriller étouffant sur la violence domestique -entre le Roi et la Reine d'Angleterre, dans un château glacial, et pas entre prolos du Commonwealth.
Rencontré en interview à Cannes où il présentait le film en compétition officielle, Karim Aïnouz nous avouait détester le terme "period drama" ("drame historique") appliqué à son film et préférer celui de "kitchen sink drama". L'expression, employée chez les anglophones pour qualifier les films tournant autour des engueulades domestiques, de la domination masculine et des pressions sociétales enfermées dans les murs d'un appart (le "kitchen sink" étant un évier), s'applique effectivement très bien à Firebrand. Cette dynamique contemporaine -et finalement très classique- fera que le film plaira surtout aux fans de La Comtesse de Julie Delpy et du Dernier duel de Ridley Scott, à celles et ceux qui veulent rager devant le destin tragique d'une femme entourée d'une meute de loups.
La vraie Jude Law, impayable en souverain ogresque, bedonnant et sale, libidineux et bigot, dont l'apparence monstrueuse porte encore les reflets d'une beauté qu'on imagine lointaine (on se rappelle que dans la série Les Tudors, c'est Jonathan Rhys-Meyers au top de son game qui jouait Henry). Une perf inédite pour l'acteur, qui semble vraiment s'amuser comme un fou à se faire malmener jusqu'à la mort. Le Jeu de la reine devient aussi un petit traité théorique de maltraitance d'une star : ça lui donne, au fond, toute sa place en compétition cannoise.
Le Jeu de la reine n'a pas encore de date de sortie française.
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