Rencontre avec le duo de cinéastes brésiliens, Clara Linhart et Fellipe Barbosa, auteurs de Domingo, une comédie familiale qui dynamite les rapports des classes.
Dans le petit café parisien, le duo de cinéastes brésiliens Clara Linhart et Fellipe Barbosa, co-auteurs de Domingo, se rue sur les journaux du jour qui trainent sur le comptoir et s’arrête sur cette une du journal Libération sur laquelle s’affiche le visage menaçant de Jair Bolsonaro surmonté de ce titre accrocheur : « Raciste, homophobe, misogyne, pro-dictature… Et pourtant il séduit le Brésil » Nous sommes le vendredi 5 octobre, veille du premier tour des élections présidentielles au Brésil qui verra ledit représentant de l’extrême droite triompher. Pour l’heure, l’un et l’autre espèrent encore.
Leur film Domingo apporte un éclairage troublant avec cette actualité. L’action se concentre autour d’une réunion familiale dans une propriété bourgeoise du sud du pays, un certain 1er Janvier 2003, jour de la première investiture du président Lula. Un moment d’espérance pour les classes populaires qui voient soudain l’un des leur à la tête du pays. Les nantis, eux, s’inquiètent de voir peu à peu leurs privilèges de classe s’effondrer. « C’était peu comme en France avec l’élection de François Mitterrand en 1981 ! » explique Clara Linhart qui a vécu une partie de sa vie en France.
Mais aujourd’hui dans ce bistrot du 10ème arrondissement, ce 1er janvier 2003 semble bien loin. 15 ans ont passé. Lula est depuis en prison pour corruption, l’espoir des plus pauvres est déçu et Jair Bolsonaro pointe le bout de nez…
Irez- vous voter dimanche ?
Clara : Non, car nous ne nous sommes pas inscrits au consulat. Nous ne savions pas que nous serions en promotion du film en France, donc loin des bureaux de vote. La seule chose que nous pouvons faire maintenant c’est de parler politique dès que l’on nous tend un micro et dire tout le mal que l’on pense de Bolsonaro…
Fellipe :… Mais ça ne sert pas à grand-chose ! J’ai honte de ne pas participer à ces élections.
En quoi votre film dont l’action se déroule il y a 15 ans, est-il d’actualité ?
Fellipe : La guerre des classes que vous voyez dans le film est toujours présente dans la société brésilienne… La haine des plus pauvres envers les plus riches - et vice versa - existe encore. On peut dire qu’elle a même un regain de forme avec ces élections. Une partie des électeurs de droite se réjouissent que Lula soit en prison. De l’autre côté, des militants à gauche, ont poignardé Bolsonaro. La violence est extrême des deux côtés.
Clara : … Ce décalage temporel apporte aussi une certaine ironie. On voit bien que les craintes de cette bourgeoisie décadente dans le film est ridicule. Sous le gouvernement de Lula, les plus riches n’ont pas été inquiétés et les banques ne se sont jamais aussi bien portées.
Fellipe : … Cette ironie est malheureusement écrasée par ces élections !
Pourquoi avoir situé l’action de Domingo en 2003 et pas aujourd’hui ?
Fellipe : Le film a été très long à faire. Le scénario date de 2005. Le timing de sa sortie est aujourd’hui curieux !
Clara : Il est étonnant que le cinéma brésilien ne se soit pas encore penché sur cette période qui va de l’élection de Lula jusqu’à nos jours! Beaucoup de cinéastes sont encore bloqués sur les années de dictature, alors que s’est joué là un bouleversement tout aussi historique.
Fellipe : L’évolution des mentalités dans le pays, nous a toutefois incité à changer la fin du film qui à la base était plus tragique, et s’articulait comme une affirmation de l’oppression bourgeoise. Le film se termine aujourd’hui par un geste d’espoir.
Clara :… Si Rita, la fille de la servante dans le film ne pouvait envisager faire des études en 2003, l’arrivée de Lula tout changé. Il a ouvert aux classes populaires l’accès aux universités.
En quoi cette région du Sud du Brésil, où se déroule Domingo est-elle spécifique ?
Clara : … C’est ici que l’esclavage a été le plus violent. Une légende raconte qu’un jour le sang qui coulait dans les rivières - mélange du sang des bœufs qui servaient à produire la viande séchée et des esclaves - était tellement important qu’il s’est évaporé dans l’air avant de retomber sous forme de pluie. C’est une région marécageuse, très dure, où le poids des traditions est encore très fort.
Clara vous avez produit le dernier film de Fellipe, Gabriel et la montagne, cette fois, vous avez décidé de co-réaliser Domingo ensemble, comment se sont répartis les rôles ?
Fellipe : … Il faut peut-être préciser que le scénario a été écrit par Lucas Paraizo. Ni Clara ni moi, n’avions donc une quelconque autorité sur le projet. D’un point de vue pratique, l’aspect choral du récit demandait une attention importante. A deux, il était plus facile d’observer tous les comédiens…
Clara : … De façon naturelle, nos interprètes ont choisi leur référent, Fellipe ou moi. Ils avaient tous besoin d’être rassurés, de se sentir observés donc protégés.
La caméra est très mobile à l’intérieur de la maison et fixe à l’extérieur. Pourquoi ?
Clara : C’est notre chef opératrice, Louise Botkay, qui nous a proposé cette idée. Le tournage s’est déroulé sur un temps très court, il fallait un parti pris de mise en scène très strict afin de ne pas se disperser. A l’intérieur de la maison, les personnages sont plus dans l’introspection, ce qui se joue est plus incertain, d’où cette impression de tâtonnement à l’image. A l’extérieur, le cadre est plus fort qu’eux, nous voulions plus être dans la farce. Il a toutefois fallu convaincre Fellipe qui était réticent à suivre ces idées de mise en scène…
Fellipe : … J’avais peur que ça se voit trop au point de devenir une coquetterie. Au final, elles avaient raison, ce choix rend les choses plus expressives.
Comment avez-vous envisagé votre casting ?
Clara : De façon très libre ! Les interprètes viennent d’horizons très différents. Itala Nandi qui joue la matriarche par exemple, est une ancienne diva du cinéma novo brésilien. C’était émouvant de la retrouver au premier plan. Pour le reste, il y a des stars de telenovelas très populaires au Brésil, des acteurs de théâtre ou du cinéma d’auteur. Le tournage s’est déroulé dans une ambiance très joyeuse et égalitaire.
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