Une merveilleuse histoire du temps revient ce soir sur France 4.
Dans la famille des footballeurs devenus acteurs, on connaissait « l’intello taciturne » Dominique Rocheteau (qui a joué en 1995 dans Le Garçu, ultime film de Maurice Pialat), le « King de la comédie » Eric Cantona (qui a imposé sa présence physique dans différents genres jusqu’à interpréter avec une délicieuse ironie son propre rôle dans Looking for Eric de Ken Loach) ou la brute épaisse Vinnie Jones (qui a joué les gros bras dans Snatch et X-Men l’affrontement final). Mais il faudra désormais compter dans la bande Frank Leboeuf, l’homme qui semble toujours se trouver là par hasard. Car rien jusqu’ici dans la carrière de comédien du champion du monde 1998 ne pouvait indiquer qu’il figurerait en ce début d’année 2015 dans un film nommé aux Oscars. Et même si le rôle que tient l’ancien joueur de Chelsea dans Une merveilleuse histoire du temps - celui d’un médecin annonciateur de mauvaise nouvelle qui diagnostique une pneumonie à l’astrophysicien Stephen Hawking - est anecdotique, sa soudaine apparition dans le film de James March est totalement irréelle.
Il n’est là que quelques secondes mais sa scène est cruciale. Incarnant (en anglais dans le texte) un briseur de rêves qui cherche à amener les héros de ce biopic sentimental vers une résignation définitive, Frank Leboeuf, yeux de chien battu et mine désenchantée, paraît avec sa blouse blanche et son crâne chauve en décalage complet avec l’univers du film. Ses paroles fatalistes « Il ne parlera plus jamais » vont pourtant pousser Stephen Hawking et son épouse Jane à résister au diagnostic en développant une nouvelle forme de communication par machine interposée. Frank Leboeuf, qui a en plus la chance inespérée de voir son unique scène figurer dans la bande-annonce internationale (toujours très exposée et médiatisée quand il s’agit d’une oeuvre concourant à l’Oscar du meilleur film), se retrouve une nouvelle fois dans la posture de l’homme qu’on n’avait pas prévu de croiser là. Car le bon vieux principe du quiproquo résume en effet à merveille le parcours de star de Frankie.
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L’invité surprise du 12 juillet 1998
On ne le rappellera jamais assez, la notoriété de Frank Leboeuf repose sur un miraculeux coup du sort. Le 8 juillet 1998, alors que l’équipe de France se dirige droit vers la finale de « sa » Coupe du Monde et n’a plus que 15 minutes à tenir face à la Croatie, Laurent Blanc, indéboulonnable défenseur central des Bleus, écope d’un injuste carton rouge dû à la simulation d’un adversaire. Le remplaçant Frank Leboeuf est alors envoyé sur la pelouse mais se voit surtout offrir l’opportunité, une fois la qualification acquise, de prendre la place de Laurent Blanc, suspendu, pour la finale France-Brésil du 12 juillet, événement télévisé le plus regardé de l’année dans le monde. Alors que la planète entière se demande si l’invité de dernière minute saura contenir les assauts de Ronaldo, le natif de Marseille se révèle à la hauteur des attentes et contribue à la victoire des Bleus. Apparaissant en bonne place sur la photo finale, Frank Leboeuf est alors heureux comme un gamin sur la pelouse du Stade de France et saute de manière appuyée dans les bras d’un Laurent Blanc un peu amer. Assumant avec joie ce rôle d’homme qui a pris par hasard la place d’un autre, le footballeur fait déjà écho en ce soir d’été 1998 à plusieurs célèbres figures cinématographiques : on songe au Cary Grant de La Mort aux trousses, exemple indépassable de l’homme qu’on prend à la suite d’un malentendu pour un autre et qui se retrouve contraint d’emprunter l’identité d’un inconnu pour sauver sa peau. Au rayon comédie française, Le Grand Blond avec une chaussure noire joue avec la même idée de l’homme ordinaire qui est pris à son insu pour un redoutable agent secret.
« C’est le boeuf »
De fait, les airs ravis et autosatisfaits de Pierre Richard dans le film d’Yves Robert ne sont pas si éloignés de ceux qu’affiche Frank Leboeuf en 2002 dans une mémorable publicité pour la collective du bœuf. Une voix off féminine présente un morceau de viande (« tout le monde le connaît, tout la famille l’adore et si on le sélectionne, c’est pour ses signes officiels de qualité, c’est le bœuf ») avant que n’apparaisse le joueur, sourire hilare aux lèvres, qui dit malicieusement qu’« on ne me l’avait encore jamais faite celle-là ». Si le téléspectateur hésite entre rire et stupéfaction, Frank Leboeuf semble plus enchanté que jamais de se trouver là où on ne l’attend pas.
Egalement vu en 2001 dans un épisode d’Un gars, une fille ainsi que dans un minuscule rôle de conseiller français dans le film historique Taking Sides avec Harvey Keitel, Frank Leboeuf paraît tout simplement profiter comme ses petit camarades du vent en poupe dont bénéficie la fameuse équipe black-blanc-beur de 1998 (aussi championne d’Europe en 2000). Mais lorsque l’effet de mode sera retombé (notamment à cause de la piteuse élimination des Bleus au premier tour de la Coupe du Monde 2002) et que les ex-champions du monde se dirigeront tous vers des carrières de consultants ou d’entraîneurs, Frank Leboeuf décide lui de ne pas lâcher le morceau et de pousser la comédie jusqu’au bout. En 2005, alors qu’il prend sa retraite de footballeur, Frank choisit de devenir acteur.
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Le médecin imaginaire
S’envolant pour Los Angeles afin de suivre les cours de comédie du Lee Strasberg Theatre and Film Institute, Leboeuf s’illustre surtout au sein du Hollywood FC, une équipe de foot réunissant des personnalités du cinéma où il croise la route d’acteurs comme Jason Statham, Owen Wilson, Ben Stiller ou Woody Harrelson. Mais ces fréquentations californiennes n’offrent pas de réelles opportunités hollywoodiennes à l’ancien joueur du RC Strasbourg puisque son seul rôle notable des années 2000 est celui de… Frank Leboeuf himself dans Golden Goal, une comédie indonésienne survitaminée de 2008 qui suit le parcours d’une femme ayant repris un club de foot. La vision de la bande-annonce consolide encore le statut d’invité de dernière minute de Frankie puisqu’il débarque à la fin de la vidéo, en tant que « World Cup Winner » qui participe essentiellement à un concours de baffes géant.
Délaissant durant quelques années ses rêves de carrière hollywoodienne, Frank Leboeuf joue dans des pièces de théâtre en France (L’Intrus puis le vaudevillesque Ma belle-mère, mon ex et moi) et goûte finalement à des fonctions de consultant foot pour TF1, où il cultive une nouvelle fois l’art de surprendre. On se souvient ainsi de sa gueulante poussée durant la Coupe du Monde 2010 suite à la grève des joueurs de Raymond Domenech. En appelant de façon mélodramatique à « faire un grand nettoyage » des bureaux de la fédération avec un vocabulaire digne d’un vieux film de gangsters, l’ancien joueur quitta face à la France médusée sa légendaire décontraction pour prendre des airs graves et patibulaires.
La carrière d’acteur de Frank Leboeuf trouvera-t-elle finalement son salut dans le drame ? Toujours en 2010, il participe à une publicité initiée par la société française de rhumatologie en partenariat avec Pfizer. Il s’agit d’inquiéter (en noir et blanc s’il vous plaît) le téléspectateur à coup de sentences lugubres. « Ce mal de dos peut cacher une spondylarthrite ankylosante. Une maladie douloureuse et handicapante qui se traite bien si on la dépiste à temps. La spondylarthrite ankylosante, parlez-en à votre médecin. »
Une pub qui évoque étrangement le rôle que tiendra 4 ans plus tard Frank Leboeuf dans Une merveilleuse histoire du temps, où il interprète là aussi un oiseau de mauvais augure en blouse blanche qui met en garde contre une préoccupante situation médicale. Doit-on en conclure qu’il a trouvé sa voie sous les lumières blafardes d’un hôpital ? On parie plutôt que l’homme qui surgit toujours là où ne l’attend pas n’a pas fini de nous surprendre.
Damien Leblanc
Une Merveilleuse histoire du temps de James Marsh avec Eddie Redmayne, Felicity Jones, Tom Prior et un cameo de Frank Leboeuf, revient à 21h sur France 4.
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