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Après avoir crevé l’écran comme second rôle dans des films aussi variés qu’Un Prophète, Zero Dark ThirtyLes Garçons et Guillaume, à table ! ou Hippocrate, Reda Kateb partage avec Viggo Mortensen l’affiche de Loin des hommes, une fiction historique en forme de western qui prend place en 1954 dans les montagnes d’Algérie, aux prémices de la guerre. Prêtant ses traits à Mohamed, un paysan algérien accusé de meurtre qui se retrouve escorté par l’instituteur français Daru, Reda Kateb offre densité et crédibilité à cette ambitieuse épopée humaniste. L’acteur évoque pour nous ce projet au long cours, sa rencontre avec Viggo Mortensen et ses méthodes de travail.Qu’est-ce qui t’a attiré dans le projet Loin des hommes ?  Tout part de la rencontre avec le réalisateur, David Oelhoffen qui a eu lieu pendant la préparation de son premier film, Nos Retrouvailles (sorti en 2007). On s’était vu à propos d’un rôle de boxeur pour lequel je m’étais pas mal entraîné physiquement, mais il avait finalement engagé un vrai boxeur. David m’avait cependant dit à l’époque qu’il avait très envie de travailler avec moi une fois prochaine. Et au moment de la sortie d’Un Prophète, il y a déjà 5 ans, il m’a donc fait lire son scénario de Loin des hommes, que j’ai beaucoup aimé, et pas seulement parce que j’apprécie les écrits d'Albert Camus (il s'agit d'une adaptation libre de la nouvelle L'Hôte, ndlr). Jusqu’à l’arrivée de Viggo Mortensen sur le projet, on avait du mal à trouver les financements et ça a pris du temps. J’avais d’ailleurs entre temps fait une version radio de Loin des hommes pour France Culture où je lisais le scénario.Récit sur la guerre d’Algérie, réflexion philosophique, western… Comment décrirais-tu le film ? Pour moi c’est un road movie. Et aussi un conte assez idéaliste qui montre comment deux hommes qui auraient pu ne jamais se rencontrer vont finalement faire connaissance et découvrir d’une certaine façon que l’autre est semblable à soi-même. A une époque où on monte les gens les uns contre les autres et où chacun se replie sur sa propre communauté, l’idée de dresser entre les hommes davantage de ponts que de murs me plaisait.Le duo que tu formes avec Viggo Mortensen est très fort. Est-ce qu’il faisait partie de tes modèles d’acteur ? Je n’ai aucun modèle moi. Il y a plein d’acteurs que j’aime et qui m’inspirent, mais je ne me suis jamais positionné en termes de modèles. Si ce n’est quand j’étais plus jeune avec mon père (l’acteur de théâtre Malek-Eddine Kateb, ndlr), mais c’était un modèle dont il a fallu que je me détache. Viggo Mortensen est en effet un acteur que j’admirais mais j’ai dû le désacraliser pour travailler avec lui, pour qu’on se situe vraiment sur un pied d’égalité. Et il se trouve que lui ne se sacralise pas, et qu’il s’implique totalement dans le concret et dans le travail. On a donc été ensemble à Ouarzazate une semaine en avance pour prendre le temps de bien bosser ensemble sur le scénario. Et après cette phase de préparation, on s’est retrouvé à tourner à raison de 12 heures par jour dans une ambiance studieuse. Et c’est seulement maintenant, avec le recul, que je me dis que Viggo m’a appris énormément de choses et qu’il m’a enrichi par son engagement absolu et entier sur le film (dont Viggo Mortensen est aussi coproducteur, ndlr). Mais il ne s’est jamais posé vis-à-vis de moi comme un aîné ou comme quelqu’un qui allait m’enseigner quoi que ce soit.>>> D'Un Prophète à Hippocrate : l'ascension discrète de Reda KatebTu parles parfois de l’influence qu’exerce sur ton jeu la musique que tu écoutes pendant un tournage. Pour un film plutôt économe en mots comme Loin des hommes, es-tu aussi passé par la musique ?  La musicalité du personnage s’est d’abord construite avec Viggo pendant la phase de préparation. Car chacun de ces deux protagonistes se situe vraiment dans un rythme propre et personnel, bien qu’ils aient tendance à se rapprocher au fil du film. En ce qui me concerne, je suis allé vers des musiques gnawas et des musiques du Mali. Et quand on tournait à Ouarzazate, j’allais prendre le dimanche des cours de guembri, qui est un instrument de musique gnawa. La musique est importante pour camper ces deux personnages qui ont une vie intérieure très forte et qui se dévoilent vraiment par couches successives et par petites touches. Quand je préparais le rôle, j’ai aussi passé beaucoup de temps à marcher car je cherchais la démarche de ce personnage, sa corporalité, je voulais atteindre une manière qu’on peut avoir de se tenir quand on marche tout le temps. C’est un berger, donc un enfant qui n’est jamais passé par la poussette et un homme qui a l’habitude de se mouvoir sans avoir des immeubles devant lui. C’était essentiel pour ensuite marcher de façon cohérente dans les grandioses décors naturels du film.Tu différencies en général théâtre et cinéma en estimant que le premier est plus centré sur le texte que le second. Le rapport au texte n’était-il pas important dans une adaptation d’Albert Camus ? La construction du rôle ne s’est pas faite tant que cela au niveau du texte de Camus car le film commence presque là où la nouvelle s’arrête. C’est vraiment une adaptation libre et pas une transcription au cinéma de la nouvelle. Et s’il doit rester quelques bribes de dialogues de Camus, le rapport au texte consistait surtout à jouer en arabe, à utiliser le dialecte algérien de cette époque et de cette région. Il s’agissait aussi de retravailler ma manière de parler le français, de pouvoir être dans la vibration pour créer quelque chose de mal assuré, car ce personnage n’a pas les outils pour parler parfaitement une langue, ça lui demande beaucoup d’efforts. Je pense en tout cas qu’il reste l’esprit de Camus, c’est à dire l’humanité, l’humanisme, l’idée qu’une injustice reste une injustice même quand on se situe dans une vague mouvementée de l’Histoire, qui est en l’occurrence ici la décolonisation. Raconter les petites histoires dans la grande Histoire, c’est vraiment quelque chose qui me tenait à cœur.>> A voir : un extrait majestueux de Loin des hommes">>>> A voir : un extrait majestueux de Loin des hommesDavid Oelhoffen explique que Loin des hommes traite de l’engagement et d’une réflexion sur la façon de se positionner par rapport à la Loi. Te considères-tu comme un acteur engagé ?Non je ne me revendique pas comme un artiste engagé, en même temps je ne pourrais pas tourner dans un film qui me paraîtrait en désaccord avec ce que je pense ou ce que je ressens. Le but n’est pas pour moi de faire des choses uniquement politisées, je veux juste aller vers des projets que je sens instinctivement stimulants pour moi. Je pense en tout cas que ceux qui se proclament ouvertement engagés cherchent souvent à masquer une médiocrité artistique. Je me méfie de ça. Par contre, raconter des histoires en restant le plus proche de l’humain, voilà pour moi le plus bel engagement. Et ça n’a pas besoin de se revendiquer. Si on essaie à tout prix de rentrer dans la case « engagé », ça s’apparente juste à une envie de se faire mousser. Et je pourrais très bien faire des films totalement apolitiques, mais il se trouve que les projets intéressants qui viennent vers moi en ce moment ont une portée légèrement sociétale. On peut par exemple dire que Loin des hommes est engagé dans le sens où il pose avec force la question de l’engagement et des conditions qui mènent à un choix, oui.Comment juges-tu le résultat final ?J’aime vraiment cette simplicité, ou plus exactement le fait que chaque geste compte dans cette rencontre un peu improbable entre deux hommes en apparence opposés. Chaque parole, chaque petit détail subtil compte, ça ne se joue pas à travers de grands évènements, ce n’est pas un film d’esbroufe qui cherche uniquement à en mettre plein la vue. En tant que simple spectateur, je peux dire que c’est un film auquel je suis attaché - peut-être parce que je ne suis pas toujours filmé en gros plan, parce que l’énergie repose beaucoup sur l’échange avec Viggo ou sur les paysages, et parce que je suis vraiment solidaire du point de vue de David Oelhoffen sur son histoire. Le film aura une place particulière dans ma filmographie, pas seulement pour sa forme, mais pour ce qu’il raconte, pour le voyage que ça a été de le tourner, pour les éléments fraternels qu’il a agités en moi. Humainement, c’est un film qui m’a changé et je l’aime beaucoup pour ça.Interview Damien LeblancReda Kateb et le réalisateur à propos de Loin des Hommes : Loin des hommes de David Oelhoffen avec Viggo Mortensen, Reda Kateb, Djemel Barek sort le 14 janvier dans les salles