"On se demande tout le temps si l'on n'en fait pas trop". Autopsie des bastons à la John Wick, par le responsable des séquences d'action de la série Prime Video.
Là où John Wick passe, les cadavres s'empilent. Et la série The Continental poursuit cette œuvre sanglante. Le préquel - à voir en ce moment sur Prime Video - livre encore son lot de séquences qui flinguent à tout va, avec un bataillon d'hommes de main massacrés à coups de tirs en pleine tête. De la baston hyper-spectaculaire sur un rythme effréné et une chorégraphie millimétrée. Dans les coulisses, le chef d'orchestre s'appelle Larnell Stovall. Ancien spécialiste des arts-martiaux reconverti à Hollywood, il est le réalisateur des scènes d'action de The Continental. Et pour Première, il décortique la fabrication de ces énormes gun fights à la John Wick, toujours plus grands que nature.
C'est quoi le style John Wick en matière de scènes d'action ?
Larnell Stovall : On est très précis par rapport à ce qu'on veut insuffler : de la tension, du drama, du cool. Ce que je veux dire, c'est qu'on fait attention à tout, même à ne pas faire le kill de trop. On peut faire une séquence d'action cool avec 10 méchants tués d'une balle en pleine tête. Mais cette même scène sera peut-être encore plus cool avec 5 kills ! Il vaut mieux 5 kills dont on se souviendra, plutôt que trop de kills qui font perdre le fil.
Du coup, vous faites le compte des morts sur la plateau ? Vous faites comme un kill count de jeux vidéo ?
Non je ne fais pas de kill count ! (rires) Je ne compte pas les morts et d'ailleurs, je crois qu'on n'a pas tué tant de monde que ça dans The Continental quand j'y repense... De toute façon, c'est délicat de faire ce genre de calcul, parce que certains gars sont tués, d'autres sont seulement blessés. Après, moi, je sais précisément quand un personnage va au tapis s'il est mort ou pas ! J'ai besoin de savoir pour ma mise en scène. Dans la séquence d'ouverture, dans cet escalier du Continental, il y a un afflux presque infini de tueurs et d'assassins qui se mettent sur le chemin de Frankie Scott. Donc, il faut qu'on sache ce qu'on en fait. Un "headshot" (tir en pleine tête), et il est mort sans ambiguïté. Mais parfois, ce sont des côtes fracturées ou juste un genou pété. Dans tous les cas, il faut qu'on s'assure à chaque fois que tel adversaire ne va pas se relever et revenir se mêler au combat.
Comment faites-vous pour le sang ? Parce que ce genre de tuerie devrait logiquement entraîner d'innombrables mares de sang, non ?
C'est vrai qu'on ne met pas trop de sang pour ne pas faire trop gore. C'était volontaire. Il fallait qu'on soit dans une certaine continuité par rapport aux films en terme de ton, mais aussi c'est beaucoup plus simple pour les raccords. On ne peut pas asperger le personnage principal de sang tout le temps, sur son visage, son costume... Il faut penser à ça aussi. Du coup, ce sont les effets spéciaux qui s'occupent du sang en post-production. Comme ça, on n'a pas à gérer ça dans la mise en scène. Si tel personnage reçoit une balle dans le cou ou dans la tête ou ailleurs, ils peuvent ajouter un gros splash sur le mur en VFX ou une tâche de sang sur le sol.
Les héros de la saga John Wick se font tirer dessus à tout va, sans jamais être touchés ou presque. Est-ce que vous cherchez à ce que ces séquences restent crédibles ou finalement, ce n'est pas important ?
Oui, on pense beaucoup à la crédibilité des séquences. On ne veut pas tomber dans la caricature des stormtroopers de Star Wars qui ne savent pas viser et qui ne touchent jamais personne avec leurs pistolets laser (rires). Mais en même temps, l'idée n'est pas d'être 100% réaliste. On fait du divertissement. Il faut que ce soit cool. Et puis on pense aussi à la séquence suivante ! S'il se prend une balle dans telle scène d'action, ça veut dire que le personnage sera blessé dans la scène d'après, ce qui entraîne des complications. Donc on essaye de prendre tous ces facteurs en compte. On lui file des corps à utiliser comme boucliers pour que ça reste crédible par moments. On fait bien attention aux endroits où il peut se mettre à couvert. On joue avec les angles de caméra pour faire accepter au spectateur que le méchant manque le héros 3 ou 4 fois d'affilée. On fait tout ce qu'on peut pour que ça reste crédible au bout du compte.
Mais vous ne vous dites pas, parfois, que ça va trop loin ? Que là, ça ne marche plus et qu'il devrait être mort depuis longtemps ?
Si bien sûr ! On se demande tout le temps si l'on n'en fait pas trop. On regarde tout le temps si, dans telle scène, il n'y a pas quelqu'un en position de tirer sur le héros. S'il n'y a pas un ennemi trop près de lui. Est-ce qu'on peut vraiment croire que le méchant a manqué à une distance aussi proche ? Oui ? Non ? On se pose toutes ces questions quand on dessine la chorégraphie de ces scènes. On imagine absolument tout en amont, de fond en comble. On suit d'ailleurs un chronomètre à la seconde près pour chaque mouvement. Il faut avoir en tête qu'on n'a eu qu'une seule journée, par exemple, pour filmer la scène d'ouverture de The Continental dans l'escalier. On a tout fait en 10 heures. Mais c'est aussi parce qu'on savait exactement ce qu'on voulait. On avait tout millimétré en préparation.
The Continental, en 3 épisodes, à voir sur Prime Video depuis le 22 septembre 2023.
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