Ce qu’il faut voir cette semaine
L’ÉVÉNEMENT
MIGNONNES ★★★☆☆
De Maimouna Doucouré
L’essentiel
Le portrait d’une bande de filles au caractère bien trempé. Un feu d’artifice qui révèle une cinéaste enthousiasmante.
Ne vous fiez pas au titre de ce premier long. « Mignonnes » n’est pas le premier adjectif qui vient à l’esprit pour qualifier son héroïne de 11 ans et la bande qu’elle veut intégrer pour fuir un environne- ment familial compliqué et participer à un concours de danse. Des gamines à peine sorties de l’enfance et avides de passer à l’âge adulte en zappant la case adolescence.
Thierry Cheze
PREMIÈRE A AIMÉ
EPICENTRO ★★★☆☆
De Hubert Sauper
Les documentaires d’Hubert Sauper sont toujours des jeux de piste passionnants. Après l’épatant Le Cauchemar de Darwin (sur l’impact de l’industrie de la pêche sur le fragile écosystème tanzanien) et le plus décevant Nous venons en amis (sur le conflit armé entre Soudanais), le voilà qu’il quitte l’Afrique pour mettre le cap sur Cuba pour un portrait de l’île qui une fois encore va transcender son apparent sujet.
Thierry Cheze
NEVER RARELY SOMETIMES ALWAYS ★★★☆☆
De Eliza Hittman
L’adolescente enceinte fleurit dans les séries américaines (de Glee à Riverdale), assumant bravement le nourrisson non désiré. Chaque année, plus de 200 000 jeunes filles américaines de 15 à19 ans deviennent mamans. Ce chiffre, mais aussi l’arrivée de Trump au pouvoir qui a menacé de réduire le droit à l’avortement, ont inspiré en réaction à Eliza Hittman le portrait d’une ado qui refuse la maternité. Comme une réponse à Unplanned, ce film de propagande anti- avortement qui a cartonné au box-office US l’an dernier. A 17 ans, Autumn, (Sidney Flanigan, bouleversante) sent bien que quelque chose cloche dans le discours de la femme qui l’accueille au planning familial de sa petite ville de Pennsylvanie. C’est accompagnée de sa cousine, et sans l’accord de ses parents, qu’elle se rend à New York pour avorter. Eliza Hittman filme au plus près de la vérité les deux jeunes filles avec un sens du détail inouï. La lumière de New-York la nuit est parfaitement composée par Hélène Louvart, la directrice de la photo d’Alice Rohrwacher (Heureux comme Lazzaro). Alors certes, parfois, les séquences s’enchaînent un peu trop sur le mode « avortement mode d’emploi ». Mais l’essentiel est ailleurs. Dans l’émotion que suscite le visage tourmenté et obstiné de l’héroïne qui nous ramène vers un univers presque loachien. On gardera ainsi longtemps en mémoire la scène particulièrement émouvante dont le film tire son titre où Autumn doit répondre par « Jamais, rarement, souvent, toujours » à une série de questions sur la manière dont elle vit sa sexualité.
Sophie Benamon
LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’ŒUF ★★★☆☆
De Quanan Wang
Un meurtre d'une femme au milieu de nulle part, dans les steppes mongoles. Un flic novice chargé de l'enquête et quelque peu perdu. Une jeune bergère pleine de malice qui vient l'aider à se protéger du froid et plus si affinités. Le nouveau film du réalisateur chinois du Mariage de Tuya est à l'image de ses personnages, débordant de surprises. Le polar initial laisse peu à peu place à la fable initiatique. Tout est un peu long certes et il faut parfois s'accrocher pour ne pas décrocher. Mais la beauté de la photographie et la puissance tranquille de la mise en scène battent en brèche ces réserves et donnent naissance à un film contemplatif assez envoûtant.
Thierry Cheze
MANO DE OBRA ★★★☆☆
De David Zonana
Après avoir vu son frère mourir accidentellement sur le chantier d’une maison où ils travaillaient ensemble et n’obtenant aucun dédommagement du propriétaire, Francesco décide de se venger d’une manière singulière. En occupant les lieux puis en y faisant s’installer ses camarades ouvriers et leurs familles. En tout illégalité bien sûr. Mais avec la foi de la lutte des classes et de la revanche de cette main d’œuvre (Mano de Obra) exploitée et humiliée par une bourgeoisie hautaine et inhumaine. Il y a du Ken Loach dans ce premier long métrage mexicain mais plus encore du Bong Joon Ho de Parasite tant film social et thriller angoissant finissent assez vite par ne faire qu’un. Car alors qu’on se doute que cette parenthèse de révolte finira par être réprimée, on assiste surtout à la dérive de Francesco qui, dans son rôle de leader, va peu à peu faire vivre à ses camarades les mêmes comportements mafieux qu’il a subis, lui, comme ouvrier. Mano de Obra se vit comme une bombe à retardement dont on se demande quand et comment elle va exploser et raconte en creux le destin tragique de tant de pays latino- américains où les nobles intentions et les grandes idéologies ont souvent fini en petits arrangements entre amis, dévoyant tout ce qui les avait amenées au pouvoir. Passionnant.
Thierry Cheze
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
FAMILY ROMANCE, LLC ★★☆☆☆
De Werner Herzog
Werner Herzog, toujours curieux de tout, s’intéresse aujourd’hui au phénomène des agences de « rentaru furendo » (location de proches), qui prospèrent au Japon et permettent de se payer les services d’acteurs qui se feront passer pour un ami ou un membre de votre famille, le temps d’une soirée ou d’un week-end. Le cinéaste allemand globe-trotter a demandé au patron d’une de ses agences de jouer son propre rôle dans Family Romance, LLC, une fiction aux allures de documentaire, racontant l’étrange relation qui se noue entre une jeune fille de douze ans et l’homme qui fait semblant d’être son père. Une tragédie moderne que Herzog croque avec son regard d’ethnologue, tour à tour goguenard et empathique. Mais le film est interprété par ses acteurs amateurs de façon tellement fausse et outrancière qu’il ne dépasse jamais le stade de la sympathique bizarrerie.
Frédéric Foubert
A PERFECT FAMILY ★★☆☆☆
De Malou Leth Reymann
Inspiré à sa réalisatrice par des événements vécus par sa propre famille, ce premier long métrage danois met en scène la décision d’un père de devenir femme et les bouleversements que son choix provoque parmi les siens, à commencer par sa fille adolescente de 16 ans qui a du mal à accepter cette décision. Malou Leth Reymann trouve le bon ton – léger, riche en situations décalées sans pour autant manquer de profondeur – pour s’emparer d’un sujet qu’elle maîtrise sur le bout des doigts. Dommage que sa réalisation, trop plate et scolaire, ne rende pas grâce à ses indéniables qualités scénaristiques et laisse un sentiment d’inachevé.
Thierry Cheze
LA TROISIÈME FEMME ★★☆☆☆
D’Ash Mayfair
Le mentor d’Ash Mayfair est Tran Anh Hung auquel on pense instinctivement en voyant les premières images de ce film consacré à la condition féminine dans le Viêt-nam rural du XIXème siècle. La jeune May, 14 ans, est promise à un homme mûr, le riche propriétaire d’une plantation dont elle est la troisième femme. May va apprendre l’amour charnel et à tenir son rang face aux deux premières épouses du maître... L’image est délicate, les dialogues, rares. Ash Mayfair signe un film sur le désir -qui déborde de tous les plans, la frustration et la soumission au patriarcat. Impossible de ne pas penser aux grands films féministes lumineux et mélancoliques de Tran Anh Hung (L’odeur de la papaye verte, À la verticale de l’été) en comparaison desquels La troisième femme paraît un peu tendre et naïf.
Christophe Narbonne
Et aussi...
Belle-fille, de Méliane Marcaggi
Enragé, de Derrick Borte
The Rental, de Dave Franco
Reprises
Scanners, de David Cronenberg
Akira, de Katsuhiro Ôtomo
Raining in the mountain, de King Hu
Il medico della mutua, de Luigi Zampa
Rétrospective Yasujirô Ozu
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