Toutes les critiques de Diego Maradona

Les critiques de Première

  1. Première
    par Thierry Chèze

    On attendait forcément beaucoup de ce Diego Maradona, le nouveau documentaire d’Asif Kapadia, auteur des passionnants portraits de deux autres grands brûlés de la vie, Ayrton Senna et Amy Winehouse. Et, au risque de spoiler d’emblée cette critique, le résultat, découvert hors compétition lors du dernier Festival de Cannes, se situe bien au-delà de cette attente. Davantage en tout cas que le Maradona d’Emir Kusturica, qui racontait plus le cinéaste serbe que le footballeur argentin. Kapadia reste ici fidèle aux principes qui guidaient Senna et Amy : des images d’archives (plus de 500 heures jamais exploitées jusque-là) uniquement accompagnées de témoignages en off de Maradona et des témoins de l’époque. Une idée simple mais très efficace : les images ne sont jamais parasitées par le surgissement régulier de visages forcément vieillis par le temps. Le Diego Maradona de Kapadia n’embrasse pas la vie tout entière de son sujet, à la différence de son travail sur les destins trop tôt brisés d’Ayrton Senna et d’Amy Winehouse. Une fois passée une très rapide phase d’introduction (les débuts de ce génie du ballon rond à la fin des années 70, son passage compliqué au FC Barcelone...), le Britannique se concentre sur une période bien particulière de son parcours : ses années Naples, de 1984 à 1991, où il va emmener ce club, quasiment vierge de tout titre national, sur le toit de l’Italie (deux titres de champion) et même de l’Europe (une coupe de l’UEFA).

    UN DIEU AUX ENFERS
    Des résultats inespérés pour un club, et plus largement une ville, raillés et regardés de haut par le reste du pays et qui feront de Maradona un dieu vivant... aux pieds d’argile. À la fois parce qu’il finira par étouffer de ne plus être libre de ses mouvements, mais surtout parce qu’avec l’équipe nationale d’Argentine, il éliminera l’Italie dans ce stade de Naples lors de la Coupe du monde 1990. Un crime de lèse-majesté à cause duquel tous ses soutiens le lâcheront et le pousseront vers une descente aux enfers pas encore vraiment terminée trente ans plus tard, à en croire les images de lui, dans les tribunes, bouffi et quelque peu agité qu’on a pu voir lors de la dernière Coupe du monde en Russie.

    INTIMITÉ
    Ce documentaire se vit comme la plus passionnante des fictions qu’aucun scénariste n’aurait jamais osé inventer. On y parle dans un foisonnement jamais fouillis de foot, bien sûr, mais aussi de la guerre larvée entre l’Italie « d’en haut » et celle « d’en bas », de mafia (dont les liaisons dangereuses avec Maradona furent exposées au grand jour), de star-system, de bling-bling, avec des personnages tous plus rocambolesques les uns que les autres (le président du club, les filles prêtes à se damner pour une nuit avec le dieu Maradona, son épouse, comme un roc, toujours debout malgré les tromperies et les humiliations publiques...). Le tout avec des images inouïes impossibles à imaginer aujourd’hui, depuis que les stars du ballon rond contrôlent leur communication et ce qui peut être montré ou non sur les réseaux sociaux. Ici, ce sont les caméras qui s’invitaient dans l’intimité de Maradona. Avec son accord, certes, mais sans qu’il ait le moindre droit de regard sur le contenu des images et ce qu’elles reflétaient de lui. Elles racontent autant une époque que l’homme, et expliquent que ce film ne s’adresse pas qu’au seul cercle des amateurs de ballon rond. Une fois encore, Kapadia ne se fait ni juge, ni procureur, ni avocat de celui qu’il filme. Il va au-delà des clichés simplificateurs et réconcilie Diego et Maradona, le petit gamin aux rêves plein la tête des bidonvilles de Buenos Aires et la star hors norme et suicidaire. Un tour de force.