Rencontre avec le scénariste du film événement Zero Dark Thirty.
Concurrent sérieux de la course aux Oscars, Zero Dark Thirty est un grand moment de cinéma mais aussi, et peut être surtout, un bout d'histoire contemporaine, celle d'une longue chasse à l'homme, symbole du trauma du 11 septembre et récit de ses retombées. Un sujet politique hautement sensible donc, qui n'a pas manqué de susciter des controverses. Rencontre avec le scénariste qui a confronté l'Amérique à son passé immédiat.
Vous travailliez sur un film autour de la capture de Ben Laden bien avant que l'armée américaine ne l'ait débusqué. En quoi sa réelle capture l'a-t-elle modifié ? Totalement. A 100 %. Avant que cet évènement n'arrive, nous faisions un film sur les conséquences du 11 septembre. Après, c'est devenu un film sur cette traque, sur les dix ans qui ont séparé les attentats de la mort de Ben Laden.
Pourquoi y avait-il une urgence à sortir Zero Dark Thirty si peu de temps après sa mort ? Hmmm (long silence)... J'aime l'idée qu'un film puisse être en lien direct avec l'actualité, qu'il converse quasiment avec elle. De la même manière qu'en littérature certains essais arrivent à jeter un éclairage sur des faits récents. C'était encore plus intéressant d'être à chaud sur un évènement comme celui-ci.
Kathryn Bigelow : "Ben Laden n'a pas été vaincu par des super-héros venus du ciel"
Démineurs, le précédent film de Kathryn Bigelow, que vous avez écrit, parlait en partie de l'addiction au rush d'adrénaline de certains soldats américains sur le front en Irak. Une fois que votre projet a été rattrapé par la réalité, diriez-vous que vous avez ressenti ce rush ? Oui et non. Disons que j'ai essayé de me mettre dans la peau des personnages de Zero Dark Thirty, tout en essayant de garder la tête froide. Ne serait-ce que parce que c'était un film délicat parce que sur un sujet qui a touché tout le monde de près ou de loin. Je ne connais personne, aux USA ou ailleurs, qui n'ait pas été affecté par ce qui s'est passé le 11 septembre 2001 ; qui n'ait pas vu son mode de vie changé, même un minimum, par les actes et la volonté d'un seul homme, Ben Laden. Qu'on le veuille ou non, en faisant ce film, on racontait à la fois une histoire excitante, mais aussi une partie de l'Histoire contemporaine. La traque de Ben Laden est une des plus importantes chasses à l'homme officielle mais aussi, par ses zones d'ombre, une page de l'histoire récente des services secrets américains. Il y avait là-dedans la matière rêvée pour écrire un film, mais avec laquelle il fallait rester prudent.
Considérez-vous que votre travail sur Zero Dark Thirty a plus été celui d'un journaliste d'investigation que d'un scénariste ? Zero Dark Thirty est avant tout un film. Si j'avais voulu faire du journalisme, j'aurais écrit sur le sujet dans un magazine ou rédigé un livre. Maintenant, oui, c'est un film qui a nécessité beaucoup de travail de recherche.
Vous ne cachez pourtant pas le fait que Zero Dark Thirty repose essentiellement sur des faits, ou du moins prétendus tels. Au point de pouvoir par moment flouter la frontière entre documentaire et fiction... Je veux être très clair sur ce point : Zero Dark Thirty n'est en aucun cas un documentaire.
Est-ce pour affirmer ce point de vue que vous avez découpé le film en chapitres, qui lui donnent une structure plus proche d'une fiction ? En partie. Je n'ai pas toujours été certain que c'était une bonne idée, mais bon, à l'arrivée, ce n'est pas plus mal comme ça. Enfin je crois.
Dans quelle mesure Zero Dark Thirty est un commentaire politique de votre part sur les Etats-Unis ? Aucunement. Difficile d'ignorer que ce film allait nourrir un débat politique dans les médias, mais je me suis efforcé de ne pas y laisser transparaître mon opinion. Si j'avais voulu que ce soit le cas - et soyez sûr que si j'en avais eu l'envie, je ne me serais vraiment pas gêné pour le faire - j'aurais probablement plutôt écrit un livre qu'un film. L'idée motrice de ce film était bien plus de relater notre époque que de se lancer dans une diatribe ou une tribune.
Dans ce cas, comment interpréter la toute dernière scène du film, et la toute dernière réplique, qui sonne pourtant comme le seul moment du film où vous émettez une opinion sur ce qui s'est passé pendant les dix ans qu'il couvre? Vous avez bien résumé la situation.
Pourquoi ne s'exprimer clairement que via cette... Ecoutez, mon job c'est d'écrire un film, de le rendre aussi puissant que possible. Pas d'expliquer son contenu ou de donner des indices sur ce que je pense de cette histoire. Le but de Zero Dark Thirty est de parler de lui-même, de provoquer une réaction chez les spectateurs. Si ce n'est pas le cas, tant pis.
Vous ne pouvez pas vous en tirer comme ça avec ce film. Ne serait-ce que par son utilisation de l'éventuelle vérité des faits. Surtout quand, si les choses se sont réellement passées comme Zero Dark Thirty le montre, la réalité est encore plus édifiante qu'on le pensait... Je voulais évidemment amener les spectateurs vers cette sensation. Sans pour autant faire oeuvre de témoignage. Il aurait été impossible de restituer mot pour mot, minute par minute ce qui s'est réellement passé. Simplement parce que je n'étais pas sur les lieux, que mon scénario est basé sur des propos ou des rapports forcément empreints d'un minimum de subjectivité, qui ne peut refléter le véritable déroulement des évènements. Ou tout simplement parce qu'il est impossible de restituer ces dix années en deux heures trente de film. Il a bien sûr fallu faire des choix, fictionnaliser, dramatiser certaines choses. Mais j'espère qu'il reste à l'écran l'essence profonde de ce qui s'est passée. Ainsi que celle, même discrète, de mon ressenti envers cette décennie.
A partir de là, quelle serait votre définition de l'entertainment dans un film ? (ton las) Je ne me pose pas cette question...
Elle est pourtant au coeur d'un tel projet. La récente polémique autour d'une potentielle apologie de la torture est en partie née de l'impact public que peut avoir ce film en tant que divertissement de masse... Vous marquez un point. La réaction de certaines personnes face au film, notamment les politiciens, est étonnamment forte. Dans une certaine mesure, Kathryn et moi savions que Zero Dark Thirty allait la provoquer, quels que soient nos arguments pour nous défendre. Mais si j'y réfléchis vraiment, c'est quelque part assez sain, parce que cela permet d'ouvrir un débat. Pour revenir à votre question sur le journalisme, et en partie vous répondre sur celle de ma définition de l'entertainment, je ne suis pas certain que cette polémique aurait été aussi nourrie si Zero Dark Thirty avait été un livre au lieu d'un film (rire en coin).
Avez-vous montré Zero Dark Thirty aux vrais protagonistes de la traque de Ben Laden que vous avez rencontrés lors de vos recherches ? Non. S'ils veulent le voir, ils n'ont qu'à aller dans la salle la plus proche de chez eux.
Diriez-vous que faire ce film était une manière de boucler la boucle, de venir à bout de l'obsession des USA pour Ben Laden. Dire qu'il est maintenant temps de passer à autre chose ? Je ne sais pas. Du moins je n'en suis pas si sûr. J'ai surtout l'impression d'avoir fait un travail rétrospectif, m'être penché sur ce qui nous est arrivé ces dix dernières années. D'autant plus que certains thèmes ou axes du film restent d'actualité, ils ne se sont pas arrêtés avec la mort de Ben Laden...
Pour autant, j'ai eu le sentiment lors de la dernière séquence à la fois d'une certaine mélancolie de votre part mais aussi d'une forme d'espoir pour le futur... Je crois qu'on peut dire ça... Enfin j'espère...
Propos recueillis par A.M
Voici la bande annonce de Zero Dark Thirty, en salles le 23 janvier 2013 :
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