Bastarden Henry Sugar
Zentropa/Netflix

Vus à la Mostra, un haïku adapté de Roald Dahl, The Wonderful Story of Henry Sugar, et un bon film historique danois, Bastarden.

A peine plus de trois mois après avoir dévoilé Asteroid City à Cannes, Wes Anderson présente déjà à Venise (hors compétition) un nouveau film, La Merveilleuse histoire de Henry Sugar (The Wonderful Story of Henry Sugar en VO). Pas tout à fait un film, à vrai dire : une miniature de 37 minutes montre en main, adaptée d'une histoire de son auteur de chevet Roald Dahl (dont il avait déjà porté à l'écran Fantastic Mister Fox). Disponible sur Netflix le 27 septembre prochain, ce Henry Sugar donne le coup d'envoi d'une anthologie d'adaptations de Dahl par Anderson, qui prévoit de plancher sur trois autres nouvelles de l'écrivain.

The Wonderful Story of Henry Sugar est une sorte d'haïku filmique, un traité théorique microscopique (à peine commencé, il est déjà fini) autour de la mise en scène et de l'art du récit. Dans un dispositif à mi-chemin de la représentation théâtrale et du studio de cinéma à l'ancienne, avec décors sur panneaux roulants changeant sous nos yeux et exhibition des artifices de mise en scène (rails de travellings et techniciens dans le champ), une petite troupe d'acteurs réunis par Anderson jouent plusieurs rôles et racontent face caméra des histoires qui s'imbriquent les unes dans les autres comme des poupées russes.

Benedict Cumberbatch dans La merveilleuse histoire de Henry Sugar
Netflix

Ralph Fiennes, dans la peau de Roald Dahl, commence donc par narrer la merveilleuse histoire de Henry Sugar (l'homme qui avait l'incroyable don de pouvoir voir les yeux fermés), avant de passer le relais à Benedict Cumberbatch, qui le passe à Dev Patel, qui le passe à Ben Kingsley, etc… Tous personnages et narrateurs en même temps. Le tout file à toute allure, au rythme de l'habituelle logorrhée tourbillonnante et pince-sans-rire des dialogues d'Anderson. Le format XXS du film et sa vitesse d'exécution laissent encore moins le temps que d'habitude de s'extasier sur l'incroyable sophistication de chaque plan (les cadres comme toujours fourmille de détails insaisissables à la première vision, et qui restent comme à la lisière de notre conscience). Mais difficile de savoir où exactement Anderson veut en venir avec ce mini exercice de style – on attendra les prochains moyens métrages annoncés pour admirer ce que dessine le puzzle une fois assemblé. Quant à ceux qui ont lâché pour de bon le cinéma de Wes Anderson, ils pourront se la jouer Henry Sugar et dire que ce film, ils peuvent aussi bien le voir en fermant les yeux.

Bastarden
Zentropa

Au format carré du Wes Anderson s'opposait le Scope de Bastarden, alias The Promised Land (son titre international), film historique aux accents de western, aussi roboratif que Henry Sugar est léger. Bastarden est un pur Mads Mikkelsen movie, le type de films que l'acteur de Drunk aime tourner entre deux blockbusters hollywoodiens. Celui-ci est réalisé par Nikolaj Arcel et co-écrit par Thomas Anders Jensen, soit les réalisateurs de Royal Wedding et de Riders of Justice : des spécialistes, donc, du Mads Mikkelsen movie. Un genre qui consiste principalement à plonger l'acteur dans des environnements hostiles et admirer sa puissance d'incarnation hors du commun faire le reste.

Nous sommes au Danemark, au milieu du 18ème siècle, et notre homme Mads joue ici un militaire d'extraction modeste (le "bâtard" du titre original, c'est lui), qui a réussi à s'élever socialement grâce à ses exploits guerriers, et qui veut gagner les faveurs du roi en partant planter des patates dans la bruyère de l'ingrate péninsule du Jutland, réputée infertile. Sur place, il va entrer en conflit avec un aristocrate complètement allumé, le genre à défenestrer les domestiques pour un oui ou pour un non, et à ébouillanter le petit personnel pour divertir ses invités les soirs de réception – il est joué par un certain Simon Bennebjerg, sorte de Matt Smith local. Mikkelsen est condamné pendant une bonne partie du film à assister à ces exactions, impuissant, humilié mais impavide, le regard triste, le menton haut, la commissure des lèvres pointées vers le bas, comme il sait si bien le faire.

Zébré de scènes de violence, Bastarden évoque d'autres épopées historiques récentes teintées de western et de lutte des classes, souvent venues des Antipodes, type The Nightingale ou Le Gang Kelly – en beaucoup plus soft et mainstream tout de même, et d'abord calibré pour séduire le grand public international, avec sa star adorée en tête d'affiche, ses paysages arides battus par les vents filmés avec juste ce qu'il faut d'emphase, une bonne histoire pleine de rebondissements, et de nobles sentiments pour emballer le tout. A deux doigts du néo-académisme, peut-être, mais d'abord très efficace.

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