Cyprien Vial nous raconte le tournage mouvementé de son film de volcan.
Katia Reiter (Marina Foïs) dirige l’Observatoire Volcanologique de Guadeloupe depuis une dizaine d'années. Elle forme un duo de choc avec Aimé (Théo Christine), jeune Guadeloupéen auquel elle transmet sa passion du métier. Alors qu’elle se prépare pour une nouvelle mission à l’autre bout du monde, la menace d’une éruption majeure de la Soufrière se profile. L’ile est aux abois et Katia va devoir assurer la sécurité de la population...
Magma, de Cyprien Vial, est un film de fiction s'inspirant de faits réels, que son réalisateur et co-scénariste (avec Nicolas Pleskof) a accepté de décrypter pour Première. Rencontré au festival de Sarlat 2024, voici comment il présentait le concept de ce film qui sort cette semaine au cinéma.
Les multiples sens de "Magma"
"Magma, c'est un mot qui évoque plusieurs choses, plusieurs strates du récit, commence son metteur en scène. Le magma, c'est d'abord cette matière dont les scientifiques essaient de suivre le chemin : le magma est monté, il provoque un réveil du volcan. Le magma, c'est aussi peut être ce qui se passe dans la tête de Katya, cette scientifique qui prend conscience que malgré son savoir, elle n'est pas écoutée. Elle prend conscience d'une forme d'impuissance face à la fois à la sphère politique incarnée par le préfet (Mathieu Demy), et puis aussi face à des populations qui sont un peu baladées pendant le film et qui, à la fin, n'écoutent plus personne. Donc, ils ne l'écoutent plus, elle, la scientifique. Et puis il y a un magma social, aussi, qui est le fruit d'une forme de communication hasardeuse des autorités politiques et scientifiques. Ce magma social, c'est une population qui en a marre qu'on la balade, qu'on ne lui dise peut-être pas la vérité. C'est une population qui est défiante, méfiante, et qui a des raisons de l'être depuis fort longtemps. Donc le volcan est ici une métaphore, qui met en ébullition tous ces magma."
"Faire monter une tension sourde, voilà l'ambition de Magma, poursuit-il. Et plonger les spectateurs dans les coulisses des bureaux scientifiques de volcanologues, qui est une science qui sait un peu prévoir mais qui ne sait pas dire à la minute près ce qui va se passer. Il y a quelque chose de très fort ici. C'est un temps très long. La confrontation du temps long de la science et du temps plus rapide de la vie génère un espèce de magma mou dont on ne sait pas trop s'il va percer ou pas..."
Inspiré de faits réels
"Le film est inspiré d'un événement qui a eu lieu dans les années 70, nous explique aussi Cyprien Vial. En 1976, la Soufrière a montré des signes de réveil, et cela a entraîné une crise. Beaucoup de gens ont été évacués parce que les autorités ont décidé au départ, à juste titre, de les évacuer. Ils ont fait partir 70 000 personnes du sud de la Guadeloupe vers la Grande Terre. Certains partaient vivre avec leur famille chez des cousins, des amis, mais ceux qui ne pouvaient pas être hébergés étaient accueillis dans des gymnases ou des écoles.
A ce moment-là, ces gens sont surnommés 'les magmas', d'abord de façon affectueuse et taquine. Pendant les premières semaines de l'évacuation, les gens du Nord sont accueillants, mais le fonctionnement de toute la société dans le nord de l'île est modifié. Les enfants du Nord ne peuvent plus aller à l'école que le matin, parce que l'après-midi les petits 'magmas' doivent y aller, par exemple. Et c'est très mal vécu car cette évacuation dure longtemps. Trop longtemps. A l'époque, Claude Allègre, le patron de la volcanologie française, omet de dire que la crise volcanique est terminée et les évacués sont maintenus. Pendant une durée abusive, donc ça génère en une situation que je n'aborde pas directement dans le film, mais une situation de tension, de surpopulation dans une zone."
![Magma, avec Marina Foïs : "Le volcan est une métaphore" [bande-annonce]](/sites/default/files/styles/scale_crop_border_white_1280x720/public/2025-01/Capture%20d%27%C3%A9cran%202025-01-24%20100304.png)
Filmer la nature sauvage
"Le fait de tourner au sommet du volcan, ça rend tout de suite très concrète toute cette problématique de l'intranquillité, détaille le réalisateur et co-auteur de Magma. Pour y aller, il faut marcher une heure et demie avec le matos et vous ne savez pas la veille pour le lendemain s'il va faire beau, moyen ou pluie. Quand j'ai programmé la fin de mon film, connaissant son budget limité, j'ai quand même eu le droit à une journée de tournage sur place. Je me suis préparé à plusieurs scénarios : s'il fait beau, on tourne quand même comme s'il faisait pas beau pour essayer de créer l'ambiance la plus anxiogène possible. Par chance, le jour où on a tourné il a plu énormément, c'était vraiment un décor de lune et c'était super. Mais oui, on était totalement tributaire du rythme météorologique. C'est une sorte de loterie on avait conscience de cela dès le départ. Quand on vient en repérages et qu'il pleut tous les jour, il faut l'accepter. Mais ça peut être aussi très chouette d'accepter l'idée d'avoir une image qui ressemble au pays, d'accepter qu'en fait on ne va jamais être parfaitement raccord. C'est comme quand on tournait en pellicule et qu'on n'avait pas encore la maîtrise absolue de la chimie. Il y avait la lumière qu'on pouvait.
Avec mon chef opérateur, on n'a pas créé une image trop réaliste : elle est assez colorée, travaillée et elle est assez osée. Les couleurs ne sont pas très "réelles", mais on a cherché à retrouver le ressenti qu'on avait en Guadeloupe, d'être comme attrapés par la nature, d'être parfois brutalisés par la vitesse à laquelle vont les choses. S'il y a une tempête qui arrive, tout peut aller plus vite que prévu. Ou finalement, elle arrive pas du tout ! On se prépare à être confinés trois jours, elle change de trajectoire, et c'est fini."
Filmer la Guadeloupe d'aujourd'hui
"Le projet du film, c'est de se demander aujourd'hui ce qui pourrait se passer si le volcan montrait le même type de signes de réveil qu'à l'époque, au moment où il existe en Guadeloupe d'autres formes de tensions, ajoute Cyprien Vial. L'événement de l'époque, c'est vraiment l'histoire de deux figures de scientifiques, Haroun Tazieff et Claude Allègre, qui se comportent comme des ego démesurés, qui veulent avoir raison, et cela génère une situation socialement inadmissible, grave. Moi, j'ai essayé de proposer un récit plus optimiste, même si le film est très tendu et que mon héroïne galère bien, j'ai essayé d'inventer un binôme qui soit plus solidaire, moins détestable. C'était pour moi nécessaire que dans le binôme, il y ait un représentant de la société guadeloupéenne, Aimé, qui est un jeune thésard.
La Guadeloupe, c'est la France, mais c'est aussi une île qui situe en fait près du continent américain, qui est sujette à un climat assez hostile. Il y fait très chaud, très humide, la saison des ouragans est très compliquée à gérer. Pendant la préparation du film, on a connu deux ouragans. C'était intéressant de voir à quel point la population y était habituée. Cette capacité à rester zen et organisée face à ce type d'événement, c'est quelque chose que nous n'avons pas. Certains membres de l'équipe se sont retrouvés à conduire dans des ruisseaux, sous des cascades d'eau... Quand on vit ce genre d'expérience, on prend conscience qu'on est bien peu de choses. Et en Guadeloupe, c'est ça tout le temps.
On s'est aussi retrouvés confinés pendant une tempête. Deux-trois jours de planning de tournage qui sautent, c'est difficile, évidemment, et pourtant c'est peu de chose par rapport aux habitants qui vivent ça au quotidien. La gestion de l'eau en Guadeloupe n'est pas régie comme dans l'Hexagone, il y a des différences énormes selon les municipalités. L'eau peut être coupée pendant plusieurs heures ou plusieurs jours même, très fréquemment.
Quand on parle de territoires oubliés de la République, c'est quelque chose qu'on peut ressentir au quotidien en Guadeloupe, de façon très concrète en fait. La vie est en plus très chère. Tout ça, c'était très important pour moi de le montrer dans le film. Tout en filmant aussi une Guadeloupe extrêmement belle, avec de la nature sauvage et puissante."

L'influence de Werner Herzog
"Le film est né pendant le confinement, poursuit Vial avant de citer son influence principale. J'ai revu le film La Soufrière d'Herzog, qui filme la ville de Basse-Terre, en 1976, dépeuplée, complètement vide. Il y a un plan dans mon film qui est une citation directe de cela, cette rue avec seulement un chien qui aboie. Ce film faisait écho à ces rues vides, à notre confinement à nous, mais dans un contexte très exotique.
J'étais allé en Guadeloupe enfant et j'avais un souvenir du volcan très fort. Cette ascension du volcan totalement dans la brume, sous la pluie... j'avais comme la sensation d'être parti dans un autre monde, et ce souvenir mêlé aux images du Herzog m'ont donné envie d'enquêter sur cet événement des années 70. C'est vrai qu'on était en plein confinement, avec une communication permanente scientifique, qui contredisait la communication politique. Les deux paroles s'entrechoquaient de façon pas très heureuse, et c'était déjà ce qui s'était passé en 76."
Filmer le temps politique et le temps de la vie
"C'est presque le projet du film : faire monter une tension sourde, montrer les coulisses des bureaux scientifiques de volcanologue, confie également le réalisateur. Il y a quelque chose de très fort dans ce temps lent. La confrontation du temps très long de la science et du temps plus rapide de la vie génère un espèce de magma mou dont on ne sait pas trop s'il va percer ou pas. Après, j'avais envie quand même que le volcan s'exprime.
C'est marrant parce que Jean-Pascal Zadi tournait la saison 2 d'En place en même temps que nous, on a des comédiens en commun. Marina Foïs évidemment, mais aussi des seconds rôles qui apparaissent dans ces deux projets très différents mais tournés au même endroit, en même temps. Peut-être que la Guadeloupe est plus habituée que d'autres régions à ces discours politiques, politico-scientifique ? Comme il y a plus de catastrophes naturelles. C'est une région particulièrement sujette à des crises, de par sa situation géographique, son histoire. En ce moment, c'est la crise de la vie chère, ça socialement c'est très puissant. Et c'est aussi visible dans la série, même si encore une fois son ton est différent de celui de notre film. Le scandale du chlordécone, c'est quelque chose qui est aussi un scandale français, même si on en entend peut-être moins parler dans les médias ? Ou alors en retard. Tout prend du temps, et peut-être que ce délai en arrange certains...
En fait, je voulais faire un film qui ressemble à la Guadeloupe d'aujourd'hui, et il me semble qu'elle est puissante et intranquille. En plus de la puissance du volcan, je souhaitais filmer des visages et des corps guadeloupéens. J'espère en avoir saisi la force à travers cette figure de jeune héros qui sort un peu de sa chrysalide. Il apparaît comme un gentil petit thésard au début du film, mais qui n'en pense pas moins tout du long et qui, enfin, va être utile chez lui. Pour moi, c'est un jeune héros contemporain, de fiction, certes, mais que je n'ai pas l'impression d'avoir beaucoup vu au cinéma. Un héros de la Guadeloupe contemporaine. Quand je cherche ce genre de figure dans le cinéma, je sais pas pourquoi, ce sont plutôt des images d'une certaine fierté américaine me viennent à l'esprit. J'avais envie de m'éloigner de la carte postale pour raconter cette intranquillité puissante."
![Magma, avec Marina Foïs : "Le volcan est une métaphore" [bande-annonce]](/sites/default/files/styles/scale_crop_border_white_1280x720/public/2025-01/Capture%20d%27%C3%A9cran%202025-01-24%20100235.png)
Le choix des acteurs
Magma, avec Marina Foïs : "Le volcan est une métaphore" [bande-annonce]"Marina, c'est vraiment pour moi une comédienne qui est à la fois très solide, ancrée dans la réalité et qui en même temps doute beaucoup, s'emballe Cyprien Vial quand on évoque son casting. Une femme qui embrasse les choses pleinement et qui peut montrer une certaine fragilité. Théo, derrière ses airs d'ado un peu nonchalant, on devine un homme très puissant qui fait des choix et qui s'y tient. La personne de Théo pouvait incarner ce jeune homme entre deux âges.
J'aime bien travailler avec des acteurs non professionnels, et donc pour plein de personnages secondaires, j'ai choisi des personnes en discutant avec elles. Les parents d'Aimé/Théo, par exemple, lui il est comédien, mais elle, c'est une dame que j'ai rencontrée quand je cherchais un restaurant de plage comme décor. Elle était la tenancière du lieu qui me plaisait, la co-gérante, et je la trouvais géniale. C'était vraiment pour moi la femme guadeloupéenne : elle tient un restaurant où il y a des inondations tout le temps. Après chaque tempête, il faut enlever les cailloux de la plage... Déjà les métiers de la restauration sont pas faciles, mais là, avec ce genre de catastrophes naturelles, elle vit dans des conditions qui sont vraiment très dures. Il y a une âpreté que je trouvais qu'elle affrontait avec une fierté très impressionnante, et en même temps, elle est très féminine. Ou plutôt féminine et masculine, avec vêtements “pratiques”, du quotidien, et très colorés. Elle est peu à peu devenue notre ambassadrice référente pour l'image, en fait, qu'elle soit à l'image de la Guadeloupe d'aujourd'hui."
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