Adolescence sur Netflix
Netflix

La mini-série Netflix ne laisse personne indifférent. Avec son coscénariste, Jack Thorne, le papa de Jamie Miller décrypte pour Première les ressorts d'une histoire qui va rester.

Elle est déjà la série numéro 1 du moment, sur Netflix France. Adolescence ne laisse personne indifférent et l'histoire de Jamie Miller va marquer le public pendant longtemps. Mais que faut-il comprendre au terme des quatre épisodes ? Que cherche à dire la mini-série ? Et comment expliquer la mort de Katie ? Le scénariste Jack Thorne et l'acteur Stephen Graham (qui joue Eddie Miller) - également co-créateur - décryptent pour Première les enjeux de leur puissante chronique criminelle au sein d'une famille ordinaire.

PREMIÈRE : Adolescence est une série très intense à vivre. C'était le but ? Créer quelque chose qui touche au cœur du public, une histoire à laquelle on peut tous s'identifier ?
JACK THORNE
: Clairement, c'était l'idée. C'est ce qu'on a essayé de faire, Stephen et moi. On a écrit ça avec un regard de parent. Il y a cette volonté de mettre l'accent sur la responsabilité des parents, quant aux contenus les plus sombres auxquels nos enfants ont accès aujourd'hui sur Internet, sur les réseaux. Des choses auxquelles nous n'avions pas accès, nous, quand nous étions enfant. Il faut être très prudent sur ce que ces contenus peuvent générer comme réaction et il ne faut pas détourner le regard en pensant que ça n'arrive qu'aux autres, en pensant que ça n'arrive que dans des pays lointains. Pas du tout. Ça peut toucher toutes les familles.

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D'où est venue l'idée à l'origine ? Comment ce projet a-t-il vu le jour ?
STEPHEN GRAHAM
: L'idée de la série vient d'un article que j'ai lu dans le journal sur un jeune garçon qui a poignardé une jeune fille à mort. Quelques semaines plus tard, aux infos à la télé, il y avait une autre histoire du même genre. Elles n'étaient pas du tout liées. L'une avait eu lieu au nord de l'Angleterre et l'autre au sud. Mais ça m'a profondément touché au cœur. On ne comprend pas comment ça peut arriver. Chez nous, on dit qu'il faut tout un village pour élever un enfant. Donc on est tous responsables de ces actes, d'une certaine manière : les parents, évidemment, mais le système éducatif aussi, la communauté aussi. On n'imagine pas qu'un petit garçon puisse aller aussi loin. Quand Jamie est dans sa chambre, ses parents pensent que tout va bien, qu'il ne peut rien lui arriver. Mais ce n'est plus vrai aujourd'hui avec la technologie, les réseaux.

Moi, quand j'étais petit, tout ce que je pouvais faire dans ma chambre c'est dessiner et jouer sur mon clavier Casio. Rien de plus ! Jamie, lui, a grandi avec une Playstation dans sa chambre. Il joue aux jeux en ligne avec ses amis. Les parents ont peu d'impact sur ce qui se passe dans cette chambre, qui devient une sorte de microcosme vers le monde numérique. Tout à coup, avec Internet, nos enfants peuvent être influencés, guidés par d'autres.

Adolescence sur Netflix
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Comment avez-vous abordé la complexité d'un rôle comme celui d'Eddie Miller, père aimant mais dépassé par les événements ?
STEPHEN GRAHAM
: Jack (Thorne) écrit des personnages tellement forts ! Il sait tellement bien construire les personnages ordinaires, il comprend Monsieur tout le monde. A un moment durant l'écriture, on a changé le nom du père en Eddie, parce que ça faisait écho chez moi à mon oncle Eddie que j'ai bien connu étant enfant. Je viens d'une famille de durs au mal. Mon père, mon oncle, c'étaient des bosseurs. Ils se levaient tôt et rentraient tard. Mon oncle Eddie vivait à Liverpool et il partait faire les chantiers la semaine à Londres. Le week-end, il était rincé. Du coup, sa relation avec ses fils était distante. Ils l'aimaient, mais il était rarement à la maison. Il bossait dur pour mettre à manger sur la table et n'avait plus vraiment la force d'être affectueux avec ses enfants. Le personnage d'Eddie qu'on a construit pour la série est basé sur cette idée. Il aime profondément son fils, mais il n'est pas très démonstratif, il n'est pas très câlin. Il a dû mal à exprimer ses sentiments, mais c'est un type très normal au fond.
JACK THORNE : C'est quelqu'un de vulnérable aussi, qui n'est pas certain, dans cette crise, d'avoir ce qu'il faut pour soutenir son fils. C'est le portrait d'un travailleur, un homme solide, qui se retrouve dans une situation qui le dépasse. C'est une peinture différente que je voulais faire de la classe ouvrière de notre pays, qu'on a parfois du mal à comprendre.

Chaque épisode est filmé en plan séquence. Qu'est-ce que ça apporte au récit ?
JACK THORNE
: En fait, la série a été pensée comme ça dès le départ. Et on a essayé de penser le plan-séquence de plein de façons différentes. Il est très différent dans l'épisode 1, où on est dans l'action, et dans l'épisode 3, où il est pensé comme une aiguille destinée à percer l'âme des personnages.

Adolescence sur Netflix
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Comment décririez-vous Jamie ? Sa personnalité ?
JACK THORNE
: C'est un garçon très impressionnable, qui vit avec toutes sortes d'émotions à l'intérieur. Il est à la fois encore un petit garçon qui lutte avec l'homme en devenir. Et cet homme commence son rapport au monde avec ces choses qu'il voit sur Internet.

On comprend (dans l'épisode 3) que ce sont les humiliations en ligne et l'accès à la propagande "incel", via les réseaux, qui l'ont conduit au pire...
JACK THORNE
: Oui et le truc, c'est que beaucoup de gens auraient pu l'aider, l'arrêter à temps. Mais ils ne l'ont pas fait. On a montré que ce n'était pas quelqu'un de méchant, pas quelqu'un de cruel. Il a juste sombré dans un puits sans fond où il a perdu pied. On sent réellement la tragédie de Jamie dans cette série. A quel point c'est dur pour lui, pour sa famille. Et le plus terrible, c'est qu'on ressent moins, du coup, la douleur de Katie. La victime ne peut pas s'exprimer et on ne met pas la lumière sur elle. On filme l'autre aspect de cette histoire. Dans un drama criminel plus classique, on aurait certainement évoqué les deux côtés. Mais nous, nous devions décider vers qui pointer la caméra et on a choisi Jamie.



Est-ce que pour vous, Jamie a toujours été coupable ?
STEPHEN GRAHAM
: Oui. Depuis le départ, il était coupable et il n'a jamais été question qu'il en soit autrement. Adolescence n'a pas été conçue comme un "Whodunit" (un genre de Cluédo où l'on cherche qui a fait le coup). La vraie question est de comprendre pourquoi il a fait ça. Et je crois qu'on est assez honnête dans notre réponse : on ne sait pas vraiment pourquoi il a fait ça, au bout du compte. On n'a pas toutes les réponses. Mais on voulait faire comprendre quelque chose au public...

Faire comprendre quoi exactement ?
STEPHEN GRAHAM
: On voudrait que la série puisse être une étincelle qui ouvre le dialogue à la maison. Ou même à l'école. Voire au sein du Gouvernement. Parce qu'il y a des sujets dans la série qui dépassent le cadre familial et qui mériteraient d'être légiférés. On ne donne pas de réponse précise, parce qu'il n'y pas qu'une seule réponse à tout ça. Il faut ouvrir le débat pour trouver des solutions. On a le sentiment que la crise sur les réseaux est profonde et empire de jour en jour. Nos jeunes garçons se retrouvent livrés à eux-mêmes face à ces réseaux et notre responsabilité est de les aider.

Adolescence, mini-série en 4 épisodes à voir sur Netflix.