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Ca devait être une réunion explosive. Serebrennikov et Limonov ? Le cinéaste de la fièvre russe qui tire le portrait du prince noir moscovite. On attendait une oeuvre nihiliste et trouble, le résultat est tiède et presqu’embarrassant. Le réalisateur de Leto s'attaque pourtant à un personnage en or, Limonov, poète ukrainien devenu clochard à New York puis rebelle politique plus que controversé. Le film suit ce touche-à-tout dans ses pérégrinations, et notamment lors de sa période new-yorkaise où il vécut une passion destructrice avec Elena, sublime mannequin qui l'entraîna dans une spirale d'excès. Ben Whishaw est génial dans le rôle de ce dandy ingérable, mais le film peine à décoller. Comme si Serebrennikov était gêné, comme si son énergie débridée, sa folie punk ne pouvaient jamais égaler la folie mégalomane de ce protagoniste bigger than life. A l’écran, tout est trop sage, aseptisé, et la réalisation se contente de recycler des ficelles rabâchées : écran qui s'élargit pour symboliser la liberté, musiques illustratives en boucle de Lou Reed ou Tom Waits, effets visuels tape-à-l'œil… Le plus frustrant étant que cette ballade oublie l'essentiel du contexte historique et refuse de se confronter aux zones d'ombre qui faisaient tout l’intérêt du livre de Carrère. En se focalisant sur l'épisode américain, le cinéaste évite les aspects les plus dérangeants de son héros, notamment ses dérapages politiques, expédiés dans un carton final. Résultat : un film en anglais (une hérésie) qui prétendait sonder l'âme russe et passe à côté de son fascinant protagoniste, héros et salaud contemporain.