The Insider (2025)

L’amour et l’espionnage font-ils bon ménage ? C’est une question vieille comme le cinéma d’espionnage lui-même, ou du moins vieille comme Les Enchaînés d’Hitchcock, et qui court tout au long de l’histoire du genre, de Mr and Mrs Smith au Bureau des Légendes. Elle est au cœur de The Insider, le nouveau Steven Soderbergh, qui s’y amuse avec les codes du spy film comme il s’amusait le mois dernier avec ceux du film de maison hantée dans Presence – les deux films ont été écrits par David Koepp, spécialiste depuis une trentaine d’années de machineries scénaristiques ludiques et réflexives, de Mission : Impossible à Panic Room.

Il n’y a pas de fantôme dans The Insider, mais néanmoins une « présence » indésirable à débusquer au sein des services secrets britanniques : une taupe, qui vient de vendre à une puissance ennemie un énorme secret d’Etat potentiellement très létal. George Woodhouse a une semaine pour trouver cet ennemi de l’intérieur – c’est Michael Fassbender qui joue ce super-espion, avec son désormais proverbial détachement robotique, rodé grâce à ses rôles d’androïde chez Ridley Scott (Prometheus, Alien : Covenant) et de tueur-samouraï chez David Fincher (The Killer). Mais George, derrière ses apparences glaciales de professionnel du secret, a un petit cœur qui bat très fort pour sa femme Kathryn (Cate Blanchett) – qui est non seulement espionne, mais aussi sur la liste des suspects…

The Insider est donc un film « compte à rebours » (avec le décompte des jours de la semaine qui s’affiche à l’écran), doublé d’une sorte d’Ils étaient dix au MI6, avec Fassbender en enquêteur cuisinant un à un chacun des présumés coupables. Soit, en plus de Blanchett, une troupe de jeunes pousses réunissant Regé-Jean Page (des Bridgerton), Marisa Abela (Amy Winehouse dans Back to Black), Tom Burke (Orson Welles dans Mank) et Naomie Harris (la Moneypenny des derniers James Bond). A propos de 007, notons que ce bureau des légendes british est dirigé par Pierce Brosnan, excellent, dans une poignée de scènes, en briscard du renseignement, revêche et à peine fané.

Le scénario, il ne faut pas longtemps pour le comprendre, est un prétexte – prétexte à dresser des parallèles entre la vie d’espion et la conjugalité, avec ses petits secrets inavouables, ses doubles jeux, ses trahisons parfois nécessaires. Pour qu’une relation dure – comme celle de ce power couple de l’espionnage incarné par Fassbender et Blanchett, qui force l’admiration de ses jeunes collègues, paumés dans leurs histoires de cœur et de cul – il faut peut-être admettre que certains pans de la vie de l’autre restent dans le « black bag » du titre original du film – terme qui désigne ces missions top secret dont on ne peut absolument rien dire, même sur l’oreiller, même dans le secret d’une chambre à coucher. C’est Sexe, (détecteur de) mensonges et parano.

Soderbergh file la métaphore avec son habituel goût de la concision, son élégance enjôleuse, son goût pour les lieux chics et froids (clubs friqués, open-space impersonnel), la traditionnelle B.O. electro sexy du fidèle David Holmes, bâtissant son suspense autour de scènes hyper denses en dialogues, rendues dynamiques par la grâce d’un montage très musical (assuré par ses soins), qui fait grimper la tension et constamment rebondir les enjeux. Il y a des envies ici de se la jouer Howard Hawks, un désir de comédie du remariage et de Dame du vendredi, mais où l’humour tiendrait moins du loufoque explosif que d’une sorte de distanciation ironique et pince sans-rire – jusque dans les scènes où Fassbender met son col roulé et sa casquette de gentleman farmer pour aller pêcher sur un lac à la campagne, se repasser mentalement la liste des suspects et voir si ça mord.

1h35 plus tard, la conclusion de l’affaire paraîtra peut-être un peu vaine, ne donnant pas au film autre chose que des allures de brillant et séduisant exercice de style. Mais le chemin pour arriver jusque-là est très plaisant.