Dans les années 90, Alasdair Gray écrit un chef-d’œuvre adapté en film doublement primé aux Golden Globes.
Après avoir remporté deux prix aux derniers Golden Globes, Pauvres créatures, le nouveau film de Yorgos Lanthimos, s’apprête à sortir au cinéma cette semaine. Il s’agit d’un conte gothique, une sorte de Frankenstein au féminin dans lequel Godwin Baxter, un savant fou (Willem Dafoe) arrive à ressusciter une jeune suicidée enceinte (Emma Stone) en implantant le cerveau de son nourrisson. Il l’appelle Bella Baxter et c’est le début de l’apprentissage de cette enfant coincée dans le corps d’une jeune femme.
Traité comme un conte philosophique, dans lequel un personnage complètement candide apprend les nuances de l’existence par l’expérience, ici au travers d’un fabuleux voyage, le film de Lanthimos doit sa profondeur à son matériau d’origine, le roman d’Alasdair Gray. Publié pour la première fois en 1992, Pauvres créatures a ceci de différent du film qu’il est écrit selon une multiplicité de point de vue. Contrairement à la mise en scène de Lanthimos qui se concentre uniquement sur le point de vue de Bella, Alasdair Gray écrit pas moins de trois versions du même récit, narré par différents personnages.
Tout le prologue du roman s’ouvre avec le point de vue du personnage d’Archibald McCandless, interprété par Ramy Youssef dans le film. Cet assistant de Godwin Baxter va devenir le témoin oculaire puis le rapporteur du récit vécu par Bella. Ce récit adopte le point de vue de la protagoniste lorsque celle-ci s’exprime dans les lettres qu’elle envoie à Archibald et Godwin pour raconter son voyage. En termes d’intrigue, le film est très fidèle au roman même si celui-ci transforme encore une fois sa narration à la toute fin dans une ultime lettre de l’héroïne supposée s’adresser à ses descendants.
Là réside tout le génie littéraire d’Alasdair Gray et son pastiche de conte gothique. En mêlant écriture romanesque et récit épistolaire, en impliquant tous les points de vue de ses différents personnages, il livre un roman protéiforme qui est la véritable créature frankensteinesque. Il est le créateur et son œuvre est sa créature. L’écrivain va même jusqu’à jouer avec le lecteur en introduisant son roman par un avertissement des plus “sérieux” dans lequel il tente de nous convaincre que l’on s’apprête à lire une histoire vraie, vécue et retranscrite fidèlement par des personnes ayant existé.
Pour ajouter de l'authenticité à ce document soi-disant réel, le roman est truffé d'illustrations anatomiques et scientifiques, reproductions des carnets médicaux des personnages de Godwin et Archibald. L’ouvrage a bénéficié d’une récente réédition en lien avec la sortie du film aux éditions Métailié. Décédé en 2019 et peu connu en France, Alasdair Gray mérite que l’on s’attarde sur ses écrits. Yorgos Lanthimos était tout indiqué pour s’attaquer à cette œuvre singulière mais déjà classique.
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