L'acteur de Willow, Heat, The Doors, Batman Forever ou encore Le Saint, s'est filmé toute sa vie, et en a tiré un docu fascinant.
Val, le documentaire de Ting Poo et Leo Scott, a créé l'événement lors du festival de Cannes 2021, et après avoir été visible en VOD, il est disponible gratuitement sur Arte.TV, précédé d'une excellente réputation. Il faut dire qu'avec ses milliers d'heures d'archives, Val Kilmer avait largement de quoi illustrer cette autobiographie voulant montrer toutes les facettes d'un acteur ! Le comédien s'est filmé dès son enfance, bien avant de faire une école de théâtre et de percer à Hollywood grâce à Top Gun. En s'appuyant sur ces documents exceptionnels, le résultat est particulièrement intime, le comédien se livrant sur sa carrière, bien sûr, mais aussi sur sa famille, aussi bien ses drames que ses moments heureux, et ses problèmes de santé. Le résultat est une réussite, qui interpelle par son aspect impudique et sans filtre, et qui contient son lot de révélations. Voici cinq séquences de Val particulièrement marquantes. Attention aux spoilers, cependant : mieux vaut voir le film avant de lire la suite, si vous voulez profiter des surprises. Et dépêchez-vous, car il ne sera en ligne que jusqu'au 9 février.
"Maintenant que je ne peux plus parler, je veux raconter ma vie"
Le documentaire commence par la présentation du concept, Val Kilmer expliquant qu'il s'est lui-même filmé pendant des années, enregistrant aussi bien ses spectacles que les coulisses de ses films, rêvant un jour d'en tirer un documentaire sur "la vraie vie" d'un comédien. Sauf qu'il y a un hic : opéré plusieurs fois depuis 2015 après avoir découvert qu'il avait un cancer de la gorge, Val Kilmer ne peut plus parler, obligé d'appuyer sur un bouton qui déforme fortement sa voix pour s'exprimer. S'il assure qu'il souffre moins que ce qu'on pourrait penser en le voyant, il ne peut narrer son histoire sur la durée de cette voix robotique, et demande à son fils de s'en charger.
Voici donc le jeune Jack dans une salle d'enregistrement, lisant un long texte écrit par son papa, qui découvre au passage des choses sur sa propre vie ("Vraiment ?", s'exclame-t-il au beau milieu du docu en lisant l'une des anecdotes folles de Val). Il finit même très ému, dans les bras de son père. Si l'acteur peut parfois se montrer impudique dans dans ce projet, montrant une partie de sa vie intime et de celle de ses enfants au même niveau que ses expériences cinématographiques, cet enregistrement de la voix de Jack à sa place fonctionne très bien. C'est la première idée forte de ce documentaire, qui ne cesse de mêler vie publique et intimité, et qui démarre donc sur ce paradoxe : Val Kilmer reconnaît que c'est au moment où il a perdu sa voix qu'il a eu envie de raconter sa vie.
Jack et Mercedes Kilmer présentant Val lors du festival de Cannes 2021
Les vidéos d'enfance
Très vite, Val Kilmer nous montre donc des vidéos de sa jeunesse, lorsqu'il remakait ses films préférés avec ses frangins. Débordant d'imagination, ils étaient capables d'entraîner leurs parents dans leurs délire et semblaient s'amuser comme des fous. Jusqu'au jour où son frère cadet, Wesley, est décédé subitement, se noyant dans le jacuzzi familial, victime d'une crise d'épilepsie. Un drame fondateur pour Val, qui en reparlera plusieurs fois au cours du documentaire, notamment à la fin quand une autre tragédie familiale survient. On sent parfaitement le vide laissé par cet être cher quand il décore sa chambre d'étudiant avec les dessins de son frère ou qu'il en fait apparaître quelques-uns dans le décor de l'un de ses premiers films. Surtout, par petites touches, on comprend que cette idée de filmer les coulisses de sa vie d'acteur vient directement de ce bonheur ressenti en tournant ces films d'enfance. On pourrait penser que la démarche est narcissique de la part d'une personne rêvant de briller sous les projecteurs en devenant une star hollywoodienne, mais c'est d'emblée plus profond que ça, Val montrant comment la passion de son petit frère a déteint sur lui.
"Tous les petits veulent être Batman. Mais pas le jouer."
Une fois décidé à devenir acteur, Val Kilmer se filme donc sur scène ou en coulisses, d'abord au théâtre aux côtés de Sean Penn et Kevin Bacon, tout de même, même s'il avoue être dégouté d'être relégué à un troisième rôle (!), puis rapidement au cinéma. Parmi ses rôles marquants des années 1980-1990, il y a bien sûr celui d'Iceman dans Top Gun (1986), film qu'il ne voulait pas faire au départ, et sur le tournage duquel il reconnaît avoir exagéré sa concurrence avec Tom Cruise. Kilmer revient sur son parcours sans langue de bois, se montrant parfois trop sûr de lui ou faisant de mauvais choix de carrière. Comme quand il accepte d'incarner Batman pour Joel Schumacher au milieu des années 1990, après avoir été appelé par son agent juste après la visite d'une grotte en Afrique, remplie de chauves-souris. Il y voit un signe, mais une fois sur le plateau, il découvre à quel point ce rôle est solitaire. Son costume l'empêche de tourner la tête, et surtout d'entendre correctement ses partenaires. S'il garde son masque trop longtemps, il manque d'air. Alors il finit par se laisser diriger comme un robot, prenant les poses demandées par le réalisateur sans conviction ("Comptez le nombre de fois où je mets mes mains sur les hanches, dans ce film... C'est un truc de soap opera, non ?") et délivrant ses répliques sans véritablement jouer, là où ses collègues Nicole Kidman, Tommy Lee Jones ou Jim Carrey peuvent s'éclater à créer des super-méchants "bigger than life". "Tous les petits veulent être Batman..., dit-il après s'être déguisé en compagnie de son fils ou l'avoir montré, gamin, assis dans une Batmobile. Mais ils ne veulent pas le jouer au cinéma." Il aura fallu un blockbuster mal-aimé pour le comprendre, et ce n'est qu'un exemple d'échec parmi d'autres...
Tourner avec Marlon Brando (ou son sosie ?!)
Si le tournage de Batman Forever est une séquence marquante du docu -elle a d'ailleurs été largement teasée au cours de sa promotion- celui de L'Île du docteur Moreau en 1995 s'avère lui complètement surréaliste. Le réalisateur Richard Stanley est évincé du plateau par le studio New Line, et son remplaçant John Frankenheimer hésite à partir à son tour à force d'essuyer des déboires. Les conditions de tournage en Australie son compliquées (beaucoup d'attente dans des décors extérieurs humides), et Marlon Brando, déprimé suite à la mort de sa fille, sort peu de sa cabane, demandant à être remplacé par une doublure pour plusieurs scènes. Les clashs se multiplient en coulisses. Face à un David Thewlis visiblement dépité de voir le scénario être sans cesse réécrit et le tournage prendre du retard, Kilmer s'amuse de voir débarquer un faux Brando, un certain "Marv", chargé de remplacer la star pour les plans larges. Il rigole moins quand le réalisateur refuse de faire répéter les comédiens tant qu'il n'aura pas arrêté sa caméra, excédé qu'il filme ainsi les coulisses de son blockbuster sans son accord. Puis il semble fasciné en découvrant enfin Brando, le vrai, celui pour qui il a accepté de jouer dans ce projet... avachi dans un hamac et paraissant complètement ailleurs, à des années-lumière de ce tournage cauchemardesque qui a tout d'un futur flop. Autant de souvenirs fous, qui sembleraient exagérés si on nous les racontait dans un bouquin sur Hollywood, mais qui sont ici confirmés par les images d'archives dont on ne peut, comme Val Kilmer, détacher le regard.
Les rançons de la gloire
De multiples autres séquences de Val sont captivantes, comme quand le comédien auto-filme des auditions pour tenter de convaincre des cinéastes qu'il admire de l'engager, tels que Martin Scorsese ou Stanley Kubrick. L'acteur ne cache pas ses échecs, ni les retombées parfois négatives de ses différentes expériences. A fond dans son interprétation de Jim Morrison pour The Doors, d'Oliver Stone (1991), il reconnaît avoir fait vivre un enfer à son épouse, la comédienne Joanne Whalley, notamment en imposant la musique du groupe en fond sonore dès qu'il était à la maison. On comprend alors que leur divorce, évoqué quelques instants plus tard, n'est pas étranger à ces mois de préparation intense pour le film, et c'est d'autant plus triste que Kilmer présentait juste avant sa compagne comme son amour de jeunesse, la femme pour qui il avait eu un coup de foudre quand elle jouait dans une pièce de théâtre de Danny Boyle en Angleterre, avant qu'ils ne tournent ensemble dans Willow. Il n'avait pas osé lui avouer son amour à l'époque, et a réussi à la séduire sur le plateau du film de Ron Howard, avant de l'épouser. Val n'hésite pas à nous montrer des souvenirs de leurs noces, ainsi que des vidéos de leur couple, jeunes parents qui craquent pour leurs bébés, rendant le choc du divorce encore plus fort pour le spectateur, qui se prend la rupture de plein fouet. Comme la star.
Même procédé côté carrière, où Val n'évite pas les sujets qui fâchent, revenant par exemple sur sa mauvaise réputation de comédien tête à claques, due entre autres à ses tensions avec le réalisateur de L'Île du Docteur Moreau, mais pas seulement. Il est un peu frustrant qu'il évoque à peine ses films des années 2000 et 2010 (on aurait aimé en savoir plus sur les coulisses de Kiss Kiss Bang Bang, par exemple, mais on aura juste le temps d'entrevoir Robert Downey Jr. prendre la défense de son collègue avant de passer à autre chose). Reste que le voir accepter sa situation d'acteur has been est surprenant, et très fort. Qu'il participe à une projection de Tombstone en plein désert ou à une séance douloureuse de signature d'autographes au Comic-Con, Kilmer ose se montrer abîmé. Il a pleinement conscience que ses années de gloire sont derrière lui, et en plus d'en faire le constat sans détour, il assume cette image, quitte à modifier à jamais celle que le public avait de lui, faisant de ce Val un documentaire décidément pas commun.
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