Rencontre avec la révélation de Phantom thread qui illumine Bergman Island, le film de Mia Hansen-Løve présenté aujourd'hui en compétition à Cannes.
Première : Comment s'est passée la rencontre avec Mia Hansen-Løve alors qu'elle a dû trouver une nouvelle actrice principale, après le départ de Greta Gerwig pour réaliser Les Filles du Docteur March ?
Vicky Krieps: D'abord par un mail qu'elle m'envoie pour me le proposer. Et lire son nom m'a ramené des années en arrière ! Car, bien avant que je pense à devenir comédienne, j’étais allée voir Le Père de mes enfants et j’étais ressortie de cette salle éblouie. Car c’était la première fois qu’une mise en scène m’impressionnait autant, que je comprenais tous les choix faits derrière la caméra, alors que j’étais totalement profane en la matière. Et puis, je suis devenue actrice. Mais jamais je n’aurais imaginé tourner avec elle. Voilà pourquoi avant même de lire son scénario, je savais que je ferais son film ! Et puis nous nous sommes rencontrées. Ce qui est formidable, c’est que nous sommes aux antipodes l’une de l’autre. Mia me fascine par la qualité de ses dialogues, sa cérébralité extrêmement généreuse. Et moi, je pense qu’on me choisit plus pour mon silence que pour mes paroles. On est totalement complémentaires. Car comme actrice, j’ai besoin d’une aussi brillante architecte qu’elle sans faille dans la construction du récit. Et la structure précise qu’elle proposait ici n’a fait que multiplier ma créativité. Car sa confiance en moi m’a fait aller les yeux fermés où elle souhaiter m’emmener. Ce voyage- là restera un souvenir inoubliable.
Comment est ce que vous avez précisément créé votre personnage, cette jeune cinéaste qui accompagne son mari lui aussi réalisateur sur l'île de Bergman, Fårö, où elle va tout à la fois écrire son scénario inspiré par son premier amour qui la hante et voir son couple se déliter ?
Vicky Krieps: A chaque film, ma méthode est... de ne pas en avoir sinon d'être la plus ouverte possible pour suivre les desiderata de mon metteur en scène. Mais ici, j'ai surtout choisi de suivre mon intuition: ne pas faire mes devoirs de disciple de Bergman ! J'avais vu deux films de lui mais je ne connaissais pas réellement son cinéma. Plus jeune, j'en étais resté à distance sciemment car il racontait des choses sur les humains tellement vraies que cela me faisait aussi mal que peur. Face à Bergman, j'ai donc écidé de prendre la position de David face à Goliath oser me confronter à lui sans maîtriser son oeuvre sur le bout des doigts. J'étais la seule sur cette île de Fårö à savoir aussi peu de lui. Et donc je me suis mise en toute conscience dans une place très vulnérable, avec le risque de se perdre. Mais les circonstances ont joué pour moi: comme dans toute la première partie de tournage, je n'ai eu à jouer que des scènes seule sans le personnage de mon mari, j'ai pu créer peu à peu ce lien avec Bergman et l'île. J'ai découvert Bergman en découvrant sa maison, les lieux où il a vécu... Par son quotidien et non par son cinéma. Et j'ai le sentiment qu'il m'a accepté ainsi en pariant sur le fait que mort, il serait devenu un peu plus doux ! (rires) Je n'aurais pas pu ressentir cette forme de blanc- seing si j'étais arrivée trop préparée avec mes certitudes. Pour ce personnage, je n'ai jamais cessé de chercher dans les yeux des autres. Ceux de Mia, ceux du directeur de la photo Denis Lenoir, ceux des gens de la fondation Bergman qui nous ont accueillis.
Et pour la deuxième partie du tournage, un an après, arrive donc Tim Roth...
Et là on est encore sur une autre planète ! Tim a beau être anglais, il travaille vraiment comme les Américains: tu ne dis pas à un acteur ce qu'il doit faire car l'acteur sait ! Donc c'est évidemment difficile pour lui de se confronter à un travail avec Mia où tout est construit avec autant de détails. Ca va à l'inverse de sa logique. Il peut même penser que cette extrême précision peut être une manière pour Mia de corriger son interprétation qui serait à côté de la plaque. Ce qui n'est évidemment pas le cas. Mais ce choc des cultures participe à la beauté singulière de ce film: il a fallu que ces deux planètes si différentes se rencontrent et trouvent un langage commun. Mia a dû accepter de le laisser faire des choses à sa façon comme dans la vie, on accepte des choses sur lesquelles on n'a aucun contrôle. La météo, par exemple. Voilà, Tim Roth, c'est la météo ! Mia a donc dû se laisser plus aller que l'habitude et lui a dû renoncer à un peu de sa liberté habituelle. Et moi, j'étais au milieu, communiquant avec chacun avec leur langage. Comme une courroi de transmission. C'était passionnant.
Cannes 2021 : Bergman Island est le meilleur film de Mia Hansen-Løve [critique]
Commentaires