Howard Barker, homme de théâtre anglais controversé, se distingue par une vision extrêmement complexe et particulièrement sombre de l’art de la scène.Le dramaturge anticonformiste est né en 1946 à Dulwich, à la périphérie de Londres, dans une Angleterre certes victorieuse, mais aux blessures encore béantes. Son enfance d’après-guerre participe, dans une large proportion, à lui forger une personnalité complexe et difficile à cerner. Une personnalité empreinte à la fois d’une violence inouïe – mais uniquement intellectuelle - et d’une intelligence remarquable.Il est intéressant de noter que rien ne prédestinait le jeune Howard à se lancer dans la tragédie. Il est en effet issu d’une famille de la classe populaire, rassemblant policiers, barmen, militaires ou conducteurs de tramways, qui n’ont jamais mis les pieds dans un théâtre. Lui-même raconte que sa première visite d’un théâtre ne lui a pas laissé les meilleures impressions du monde, trouvant l’endroit « hostile » et imprégné de narcissisme.Aucun signe précurseur donc, ne laissait présager une œuvre réunissant plus de cinquante pièces, des poésies, des essais, mais aussi des peintures.Toutefois, Howard Barker ne résiste pas bien longtemps au désir effréné d’écriture qui l’habite et réalise sa première tragédie à vingt-quatre ans. Il s’associe au théâtre politique du Royal Court de Londres.En 1987, il décide de former sa propre troupe, et c’est ainsi qu’il crée la compagnie « The Wrestling School », littéralement « l’école de lutte ». Un nom étrange pour une troupe de théâtre, évoquant plus l’image d’une salle équipée d’un ring et bardée de punching-balls, que celle abritant des répétitions de scènes théâtrales. C’est donc entre les murs de la Wrestling School qu’il peut enfin donner libre court à sa conception propre de la tragédie et la partager avec ses comédiens.Une vision que la plupart des critiques britanniques ont énormément du mal à accepter. Beaucoup jugent en effet que le théâtre d’Howard Barker manque terriblement de cohérence, le qualifiant par ailleurs d’obscur, de difficile et de déprimant.Ce qui n’étonne que très peu le tragédien, qui a pris depuis bien longtemps conscience du fait que les Anglais sont beaucoup trop « moralistes » pour la plupart, et qu’ils « aiment qu’on leur dicte ce qu’ils doivent faire ». Il regrette également de vivre au sein d’une société qui ne laisse pas de place aux artistes sombres et mystérieux. Ce manque d’estime de la part de ses concitoyens n’affecte visiblement pas Barker, d’autant plus que partout ailleurs en Europe, aux Etats-Unis et en Australie, son travail recueille nettement plus d’enthousiasme. Nul n’est prophète en son pays…Les idées, pour le moins originales, qui composent son théâtre, le dramaturge les réunit au sein d’une sorte d’idéologie du jeu théâtral qu’il appelle lui-même le « Théâtre Catastrophe ». Son art se définit par des scènes qui se déroulent souvent à l’issue d’évènements tragiques (guerres, conflits, catastrophes,…) et qui visent aussi bien à mettre à nu les travers naturels de l’être humain - la violence, les contradictions, l’égoïsme et l’arrogance - qu’à sublimer sa bonté fondamentale, son intelligence ou sa lucidité. L’objectif de la tragédie que défend Barker, vise, contrairement à celle dite classique, à faire éclater les valeurs morales plutôt que de les affirmer. Howard Barker exprime, par l’intermédiaire de son art, son ras-le-bol de voir que le théâtre humaniste traite ses spectateurs comme « des chiens en laisse ». Il n’a, quant à lui, aucunement la prétention de vouloir éclairer son public ni de lui offrir la Vérité. Ce qu’il cherche à faire en créant ses pièces, c’est avant tout d’inventer un monde, évitant constamment de trop commenter ses spectacles : « Je ne dis jamais rien dans mon travail. Je crée un univers. Laissons les autres décider de ce qui doit être dit. ».L’auteur londonien, qui a choisi de vivre sur la côte sud anglaise à Brighton, explique son point de vue dans un essai intitulé « Arguments for a Theatre ». A travers ce livre, Howard Barker concrétise son besoin « psychologiquement déterminé » d’écrire. Une démarche qui ne se prétend pas être utile, mais qui découle de sa personnalité d’artiste. Il y définit la tragédie comme étant ce qui « nous donne le courage de continuer le chemin de notre vie en nous mettant face aux douleurs auxquelles elle nous confronte ».L’une des pièces les plus connues de Barker est « Tableau d’une exécution ». Une tragédie qui a pour héroïne une femme peintre de la Renaissance. Galactia - c’est son nom - est chargée par la puissante Venise de peindre une fresque immortalisant la victorieuse bataille de Lépante. Ce conflit, l’un des plus célèbres combats navals de l’Histoire, avait opposé la Sainte Ligue (les Républiques de Venise, de Gênes, de Savoie et d’Espagne) à l’armée Ottomane menée par Ali Pacha, pour le contrôle de la stratégique île de Chypre, et s’était soldée par une victoire des chrétiens. S’attendant à recevoir un tableau glorifiant leur succès militaire, les autorités vénitiennes sont désagréablement surprises de découvrir une représentation de scènes horribles, pleines de sang et de corps mutilés. Par cette peinture, Galactia a recherché plutôt à représenter les horreurs de la guerre, et à en occulter la gloire. Mais ce que Howard Barker retient du comportement de Galactia, c’est surtout son égocentrisme et son manque d’honnêteté. Un aperçu du monde complexe du théâtre de Barker.Parmi les paradoxes qui constituent la personnalité singulière du dramaturge, on note le fait qu’il ne se trouve pas de références parmi ses prédécesseurs, excepté bien-sûr William Shakespeare et peut-être aussi l’Allemand Bertolt Brecht. Howard Barker se dit beaucoup plus influencé par les poètes et cite Apollinaire, Rilke et Attila Jozsef.Singulier donc, que ce Howard Barker, mais qui nous attire irrésistiblement dans l’univers de son art, destiné à « ceux qui aiment la vie ».