Toutes les critiques de Les Amants Criminels

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Tout commence par un meurtre. Un simple assassinat qui va devenir plus qu'un désir. Une envie. Cette envie de plaire à soi-même, de révolter le système social, de lui en mettre plein la vue.
    Alice erre dans les villes, croise et aime Luc, un sain d'esprit. Dans son lycée, elle désire Saïd, un saint crispé. Elle le veut, elle le baisera avant que ce soit lui qui le fasse. Sa tête tourne, elle sait que le malheur deviendra grand lorsque la fatalité sera là.
    Un plan. Une simple action. Elle prend une décision. Il la suit. Saïd enfoui à jamais, nos deux amants d'Outre-tombe décident de se réfugier dans les bras de Mère Nature. Mais, celle-ci leur envoie sa bête humaine, une espèce d'homme des bois mi-frustre mi-sage. Le cauchemar peut commencer...Ozon, cinéaste de la jouissance, a filmé une jouissance inassouvie. Celle de deux paumés, deux adolescents qui vivent leur folie comme si leur vie en dépendait.
    Alice est une salope, mais quelle salope ! Luc est un crétin mais un crétin loyal. Tout ce qu'il touche se transforme en malchance : le stylo avec lequel il commet une faute d'orthographe dans la lettre d'excuse à ses parents, le couteau qui deviendra l'arme du crime, le rouge à lèvres qui va pousser Saïd a désirer sexuellement Alice. Tous ces petits détails, Ozon les éclaire par un dialogue brut, sans concessions. Ces mots, ces bouts de phrase recopiés avec le plus grand soin dans son journal intime, Alice les immortalise par une voix sèche mais hésitante, cruelle mais passionnée, limpide mais raisonnée. Ozon imagine, Alice recopie, Luc agit et Saïd subit.Pourquoi un tel film ? On sait tous que la complaisance est l'ennemie du cinéma. Si le film d'Ozon nous emmène dans ses fantasmes les plus tendres, ses goûts les plus justes, ses désirs les plus charnels, jamais, il ne sombre dans la vulgarité gratuite, jamais il n'explique pour que nous soyons rassurés. Pire, il nous tend quelques bobines de fil qui nous permettront de tisser nous-mêmes notre histoire.Le suspense qui tient plus à l'évaporation du temps qu'à sa dilatation, devient de plus en plus explicite. Nous ne voyons pas vivre Alice et Luc, nous vivons avec eux. Ozon nous manipule. Dès la première séquence où Alice joue avec les sens de Luc, dès que Saïd se vante auprès de son ami de la chaleur d'Alice, nous sommes contrôlés par le metteur en scène. Tous ces indices, ces trouvailles visuelles renforcent la froideur des sentiments d'Alice pour Luc et Saïd.La seconde partie se déroule dans la nature sauvage et protectrice. La cavale meurtrière sera stoppée net. La capture puis la séquestration seront leurs seules récompenses.
    Ozon, grâce à son sens du suspense, fait éclater la morale du conte de fée ordinaire. Pour cela, il utilise une narration principalement basée sur des flash-back. On pouvait craindre le pire. Il n'en est rien.
    La photo, digne des plus belles séquences de La Nuit du chasseur, accentue la terreur de ce huis clos. Le moindre détail est mis en valeur. Ainsi la puissance dramatique de l'Ogre dans chacun de ses gestes, la détresse d'Alice caractérisée par les gros plans sur sa main et ce plaisir interdit que ressent Luc pour l'Ogre sont bien plus qu'une mise en scène, ils font la mise en scène.Les Amants criminels sont avec Sombre et Seul contre tous, la marque d'un cinéma qui ne laisse rien au hasard. Une envie de dépoussiérer l'image, de lui rendre sa vraie place. On pourra dire ce que l'on voudra sur ces films : que le scénario est trop mince ou c'est du déjà-vu, on s'en fout, que l'interprétation est trop frêle, on s'en fout, que la morale est trop négative, on s'en fout, qu'il n'y a pas assez de point de vue sur le social, on s'en fout. Ce cinéma se fiche de tout ce système où l'invraisemblance est reine, il amène de l'air frais.Les amants criminels
    De François Ozon
    Avec Natacha Régnier, Jérémie Renier, Miki Manojlovic
    France, 1998, 1h35.
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    - Lire l'entretien avec François Ozon réalisé le 28 juillet 1999.
    - Le site officiel de François Ozon.