Vin Diesel rappelle tout le monde à bord, vante les mérites de la famille, avant de se mesurer à un méchant chevelu et histrionnant joué par Jason Momoa. Ca Fast ou bien ?
Tristan Bernard - qui aimait bien le tuning - raconte dans Les Veillées du chauffeur une de ses nombreuses pannes : "enfin une trépidation terrible secoua la voiture : il semblait qu'un géant énorme claquait des dents". Il faut attendre près de vingt minutes avant qu’un géant énorme fasse valser sa mâchoire dans Fast X. Quand le film commence, Dom Toretto (Vin Diesel) se la coule douce. Il organise des déjeuners familiaux dans son arrière-cour de L.A., donne des leçons de conduite très prudente à son fiston, customise ses bagnoles et roucoule avec Letty (Michelle Rodriguez). Le repos du héros en somme.
Pendant ces vingt premières minutes donc, freestyle, on en profite pour lâcher deux-trois discours rudimentaires style catho-latino-customisé (la famille, Dieu, les bagnoles, mais la famille surtout). Dom rappelle les bases de son lifestyle tribal (tuning et barbecue) et on expose ses points faibles (œil humide, sourire triste, crane chauve, le meilleur dialogue : "petit Brian m’a dit, ‘papa, toi t’as peur de rien’. Mais si, moi aussi j’ai peur. J’ai peur de perdre ceux que j’aime. Un fils, une femme").
Assis dans la salle, au bout du 10ème épisode - pardon, du Xème épisode - le spectateur, assommé, en revient toujours aux mêmes questions. Des kakous du volant complètement niais, neuf films sans queue ni tête, et ce mystère : à part la fidélité et un brin de masochisme, qu’est-ce qui nous pousse, malgré l’effet de saturation, malgré les épisodes précédents, à nous précipiter dans les cinémas pour voir le nouvel épisode des fous du volant ?
La réponse arrive après ce tunnel de prêche et d’exposition. L’action, complètement azimutée.
Il est temps de raccrocher les wagons. On ne le savait pas à l’époque, mais lors du braquage mémorable de Rio (souvenez- vous, dans Fast 5, le coffre fort trainé par les deux voitures et balancé dans la flotte), Dom et Brian O’Conner (Paul Walker) ont laissé pour mort le fils de leur ennemi de l’époque, Dante Reyes.
Dix ans plus tard, Dante a eu le temps de ruminer sa colère. Il a donc méticuleusement mis au point sa vengeance. C’est ce que Fast X raconte en empilant les scènes d’action sans aucun souci de réalisme ni de cohérence, toutes organisées par un mastermind complètement cintré, et dont la seule logique serait la surenchère. Ca commence par une partie de flipper géant dans Rome (Dom Toretto doit arrêter une bombe qui roule dans la ville, des collines du Trastevere jusqu’au Vatican, venant fracasser les immeubles, les voitures et les statues du Bernin). On enchaîne avec une baston nitroglycérinée dans une prison entre Charlize Theron et Michelle Rodriguez, puis une culbute de châssis dans Londres, avant d’enquiller tonneaux et fusillades à Rio. On saute des immeubles, des ponts, on écrase des hélicos accrochés par des filins au cul des bagnoles, on se crash, on s’explose, on saute, on vole, on glisse…
Sur fond de gangsta rap mondialisé et d’auto-tunes, les caïds bruleurs de gommes multiplient donc les cascades qui défient la physique. Plus rien n’est crédible et c’est ça qui est amusant (ou pas). C’était le cas avant, mais c’est désormais une règle cardinale. Si Fast 5 reste comme l’un des tournants de la franchise (celui où on abandonnait l’ADN street racing), avec ce pénultième épisode, qui fait revenir quasiment tous les personnages (Statham ! Mirren ! Theron ! The Rock !) et s’envisage comme une synthèse de la saga, on passe dans une dimension parallèle où l’action n’a rigoureusement plus aucun sens et où seul compte la démesure. Au risque de se perdre.
Les combats au corps à corps sont épileptiques, la réalisation multiplie les idées folles ou aberrantes (la boule de flipper dans Rome, la course sur le mur du barrage, le combat hélicos vs voiture…), iconise ses personnages débridés avec une démesure assumée et le récit, à l’image de son méchant gonzo, est totalement décomplexé. Au fond la saga Fast semble être devenue l’égal occidental des films Bollywood, avec pour seul horizon de frapper plus grand, plus fort. En multipliant les effets numériques, en sacrifiant toute direction artistique (et au passage ses héros) pour être le plus big possible. Amusant d’ailleurs : si le film semble professer un discours anti-technologique comme dans Hobbs & Shaw (en gros : "Il faut lutter contre le numérique et ses déviances totalitaires") ce n’est pas vraiment le cas de la réalisation qui accumule les SFX à la pelle…
Dans tout ce barnum, le film dispose d’une arme fatale : Jason Momoa. Défini comme un psychopathe dès son apparition, looké comme une superstar Bollywood (encore !) avec son petit catogan et son costume blanc ivoire, il prend visiblement un pied fou à jouer le vilain cinglé. Les ruptures de ton improbables qu’il amène sont vraisemblablement l’œuvre de Louis Leterrier qui n’est pas seulement le cinéaste du Choc des titans ou de L’Incroyable Hulk mais aussi de Grimsby.
Il faut voir Momoa parler à ses deux hommes de mains, morts, ou l’observer se déhancher avec ses couettes, et venir faire le zozo face à Diesel : les obsessions régressives de Leterrier sont à l’œuvre, symbole d’un passage au stade terminal d’une franchise qui a donc décidé d’aller toujours plus loin. Et pourquoi pas après tout ! Parce qu’on est sûr d’une chose : il n’arrivera rien à Dominic Toretto. Paul Morand, un autre dandy qui s’y connaissait un peu en matière de voiture et de vitesse (moins en barbecue) écrivait : "Vivre vite, c’est duper le sort, c’est vivre plusieurs fois". Dom est immortel. Et on le retrouvera dans Fast XI (avec The Rock en plus)
De Louis Leterrier. Avec Vin Diesel, Jason Momoa, Michelle Rodriguez... Durée: 2h21. Sortie le 17 mai 2023
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