Arriver plus d’une vingtaine d’années après un long-métrage qui a été une petite révolution n’est pas chose aisée. Pourtant "Jurassic World" a une façon plutôt habile d’assumer sa position de suite-à-retardement-qui-relance-une-vieille-saga : un mélange surprenant d’humour, d’innocence feinte et de cynisme (le "on l’a appelé Indominus Rex parce qu’il fallait que ce soit facile à prononcer" se pose là). Fatalement, ça ne va pas plus loin : le film ne crache pas dans la soupe et se conforme très exactement à son cahier des charges. Mais exposer de façon aussi décomplexée le côté artificiel du projet, ça rappellerait presque les répliques méta de "22 Jump Street".
Que fait un fan s’il dispose des mêmes moyens que son idole ? A peu près la même chose, mais en plus gros. C’est très exactement ce que propose la mise à jour de "Jurassic World", et c’est ce qui lui permet de ne pas s’adresser qu’aux nostalgiques. Le parc était encore au stade de test ? En voilà un ouvert au public avec des milliers de visiteurs et autant de victimes potentielles. Il n’y avait pas assez de baston de dinosaures ? Ici, vous en aurez pour votre argent. Les raptors ont traumatisé tout le monde en apprenant à ouvrir des portes ? Les voilà plus intelligents et "civilisés" que jamais. Une surenchère qui n’a comme limite que le PG13, qu’il ne faudrait pas dépasser pour ne pas se couper d’une trop grande partie du public. Dommage. Mais "Jurassic World" n’est pas qu’une grosse machine sans âme, et en ça le choix de Colin Trevorrow est assez judicieux. Non pas pour les qualités exceptionnelles de son Safety not guaranteed, mais surtout parce qu’il n’est pas Spielberg et n’essaie pas d’égaler son idoles. Quant à Steven, ne pas se charger lui-même de la réal et adouber un type qui a des étoiles dans les yeux quand il évoque le 1er film, c’est toujours mieux que de courir après un style qu’on ne retrouvera plus, cf le traumatisme du "Royaume du crâne de cristal".
Evidemment, l’apprenti pêche parfois par excès de zèle. Ramener le scientifique du 1er opus (B.D. Wong) en changeant radicalement sa psychologie, ressortir les légendaires jeeps d’origine sans aucune explication (sérieux, qu’est-ce qu’elles foutent là ?) ou faire le forcing avec le perso geek de Jake Johnson, comic relief que Trevorrow dirigeait dans son précédent film, au point de lui faire porter un t-shirt Jurassic Park et collectionner les figurines de dinos vendues à l’époque, ça frôle le mauvais goût. Mais au-delà, l’admiration pour "Jurassic Park" est trop palpable pour n’être qu’une simple commande et surtout, pour ne pas être communicative. A la seconde où on voit les yeux émerveillés (ou horrifiés) de Ty Simpkins devant le spectacle préhistorique, l’effet Madeleine de Proust fonctionne à plein. L’accumulation de références ironiques plus subtiles que de simples gadgets ne fait que décupler cette impression d’hommage permanent, et sincère, jusqu’à une séquence d’anthologie qu’on ne vous spoilera pas.
C’est d’ailleurs pour ça que les protagonistes suivent des codes (clichés ?) à l’ancienne. Un cachottier veut manipuler des dinosaures, les gamins en danger se révèlent plein de ressources, Chris Pratt fait son maximum pour livrer ce qui semble être une audition pour le reboot d’"Indiana Jones", y compris dans sa relation à Claire qui devient par la force des choses une aventurière digne de ce nom (désolé Joss Whedon)... Il est clair que ce ne sont tout simplement pas les héros du film. Avant tout, Trevorrow est venu faire une déclaration d’amour à un souvenir de gosse toujours d’actualité.C’est finalement peut-être là la vraie signification du titre. On pourrait n’y voir qu’une preuve de la pudeur d’un fan qui refuse la comparaison qu’induirait un "Jurassic Park 4". Mais après le clap de fin, "Jurassic World" sonne comme la preuve définitive que le rêve éveillé du 1er film est aujourd’hui une norme partagée. Maintenant que la carte hommage a été jouée, constamment surlignée par le thème musical omniprésent, bon courage pour la suite (sérieusement envisagée) qui n’aura d’intérêt que si elle se décide à tuer le père. C’est aussi ça le règne animal.