Sous l’enrobage feel good, le film de Destin Daniel Cretton cache une vraie noirceur.
Le Château de verre appartient à la récente tendance, presque un sous-genre en soi, du film de “parents hippies”. Après Vie sauvage (Mathieu Kassovitz apprend à ses enfants à vivre dans les bois, loin de la civilisation) et Captain Fantastic (le même film, avec Viggo Mortensen dans le rôle de Kasso), voici donc l’adaptation du best-seller de la journaliste Jeannette Walls, auteure d’une célèbre colonne de gossips dans le New York des eighties, qui fit un carton de librairie en racontant son enfance sur la route en compagnie de parents fantasques, inconséquents, constamment dans la dèche. Sa mère préférait peindre des natures mortes plutôt que de nourrir ses enfants, et son père se perdait dans ses rêves de grandeur, assurant sa progéniture qu’il allait un jour leur bâtir un immense palais de verre (le “glass castle” du titre originel), leur paradis sur terre. Les chimères s’évanouirent quand Jeannette et ses frères et sœurs furent assez grands pour comprendre que le beatnik qui leur tenait lieu de paternel était avant tout un hobo fauché, velléitaire et porté sur la bouteille. Woody Harrelson joue magnifiquement le rôle du papa alcoolique, tempétueux, colérique, tête de con, et pourtant irrésistiblement attachant. Le film observe la lente extinction de l’estime que lui porte sa fille, la colère qui bouillonne en elle, la flamme de l’amour qui vacille dans ses yeux, exactement comme elle vacillait (et finissait par s’éteindre) dans les yeux de River Phoenix, quand celui-ci observait Harrison Ford perdre la boule au fin fond de l’Amazonie dans Mosquito Coast, le saint patron du genre “papa hippie”.
Entre progressisme et réaction
Sous ses dehors feel good, d’ode à une vie alternative, Le Château de verre cache ainsi une vraie noirceur, des affects bizarres et tordus, des échos de peurs enfouies et d’enfances brisées. C’est une fable sur l’amour qu’un papa porte à sa fille, et réciproquement, mais jamais tarte, jamais mièvre. Ce mélange de douceur et de rage faisait déjà la singularité de States of Grace, précédent film de Destin Daniel Cretton (déjà avec Brie Larson), une fable fragile tentée par la joliesse mais qui semblait toujours sur le point d’exploser de colère. Sans jamais forcer, Le Château de verre parvient régulièrement à décoller les yeux de ses personnages pour voir un peu plus loin, observer le paysage alentour (c’est un mini road-movie, une fable campagnarde, un portrait du New York yuppie des années 80 aussi), et sonder les contradictions d’un pays constamment tiraillé entre progressisme et réaction. Woody Harrelson est ce corps traversé de pulsions contraires, incarnant à la fois une idée flamboyante de la contre-culture seventies et un feeling d’Americana éternel. Sous le vernis réconfortant d’un drame familial plein de crises de larmes et d’effusions, prêt à vous prendre dans ses bras, une douloureuse vérité américaine palpite ici.
Le Château de verre, en salles le 27 septembre.
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