Énième avatar sans âme d’une copie de classiques inatteignables, le nouveau film de SF des frères Russo ne provoque aucune émotion particulière.
The Electric State : c’est un joli titre, qui pourrait être celui d’un album de rock, ou désigner ce moment où Bob Dylan passe à l’électricité comme à la fin d’Un parfait inconnu de James Mangold. Mais avant d’être un blockbuster Netflix, il s’agissait d’un artbook du suédois Simon Stålenhag paru en 2018. Le récit du roadtrip d’une jeune fille et d’un robot dans une Amérique parallèle, le long des restes d’une guerre entre robots et humains. Nous sommes en 1997, dans un passé alternatif où rouillent à l’horizon les carcasses des grandes machines.
Comme les deux précédents artbooks de Stålenhag (Tales from the Loop et Things from the Flood), le récit naissait des images - mais il restait secondaire, presque accidentel, comme lorsque survient la "narration émergente" lors d’une partie de jeu de société. Rien n’interdisait la construction d’une vraie fiction autour de The Electric State : après tout, il n’y avait qu’à se baisser, tant l’univers de Stålenhag consistait en de véritables et superbes concept arts - tout le matos pour bâtir un blockbuster, un vrai, un beau, un grand.

Forcément, le résultat n’est objectivement pas grand puisqu’il arrive sur Netflix, et sera vu avec moins d’attention que dans une salle de cinéma. Ceci dit, la question du format ne joue pas tellement puisque le résultat est particulièrement mollasson. Et ce malgré une grosse dose d’ajouts narratifs en tous genres : peu convaincus apparemment par la simplicité évocatrice de l’œuvre d’origine, les scénaristes ont complexifié l’histoire en ajoutant de nombreux personnages avec les arcs narratifs qui vont avec.
Michelle (Millie Bobby Brown, pas mal) et son robot sont donc traqués par un mercenaire (Giancarlo Esposito, comme d’hab’), lui-même au service d’un Steve Jobs de la cybernétique (Stanley Tucci, euh… comme d’hab’) qui a soumis la planète à l’aide d’un réseau de casques de réalité virtuelle permettant de contrôler des robots à distance. Ajoutez à cela un sidekick particulièrement crispant (Chris Pratt, et bien… égal à lui-même), ex-soldat dealer de goodies rétro.
Cette épaisse couche de masculinité est censée ajouter de la densité narrative, mais n’aboutit qu’à un épuisant empilement d’idées banales, quasiment toutes déjà vues ailleurs et en nettement mieux, de James Cameron (ce pied de robot qui écrase le crâne d’un autre comme dans le prologue de Terminator 2) à Steven Spielberg (l’addition méta infinie des références comme dans Ready Player One). L’idée un peu amusante de la révolte des robots déclassés personnifiant les icônes publicitaires des USA tels de vrais American Gods, évoque en fin de compte l’intrigue de Toy Story 3. Des ficelles usées, des archétypes de cours de scénario qui ne font pas l’effort de s’harmoniser ni même de vouloir provoquer quoi que ce soit.

Rien de neuf n’excite dans The Electric State, qui ne semble être qu’un produit au propos confus : le film appelle à la déconnexion des cerveaux des petits écrans, des contenus écrasants totalitaires -le tout sous la forme d’un film de streaming Netflix. Tout un symbole.
D’ailleurs, cette semaine, Amadeus ressort dans une copie 4K. Depuis sa sortie, on mesure un peu tous les biopics musicaux (et tous les biopics tout court) à l’aune du chef-d’œuvre de Miloš Forman. Et c’était en 1984 : cette année-là, 4,6 millions de Français allaient faire un triomphe -comme les Américains- à Amadeus au cinéma. Mais ils allaient aussi voir en nombre, toujours comme les Américains, S.O.S. Fantômes, Gremlins et Indiana Jones et le Temple maudit pour ne citer que trois films dans le top 10 de la classe de 84.
Trois films qui font encore partie des franchises sans cesse citées, copiées, pompées et re-pompées dans l’entertainment actuel - qui constituent des horizons de cinéma pour les cadres des studios trop frileux à l’idée de produire du contenu original, ce qui n’est pas trop grave parce que c’est après tout leur rôle, mais aussi l’horizon de cinéma des auteurs de blockbusters actuels, ce qui est plus grave car le recopiage n’est pas leur fonction. Ce constat n’est pas nouveau, bien sûr, mais il est toujours aussi navrant. On en revient à Amadeus, ce grand récit du triomphe du narratif des médiocres et des carpettes sur celui des génies destinés à finir à la fosse commune.
The Electric State, d'Anthony et Joe Russo, avec Millie Bobby Brown, Chris Pratt, Giancarlo Esposito... Sur Netflix dès maintenant
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