Daniel Auteuil - Un Silence : "Ce métier m'a rendu heureux toute ma vie"

Daniel Auteuil est une fois de plus magistral en avocat pervers et manipulateur dans le dernier film de Joachim Lafosse. Celui qui fourmille de projets et d’envies fait le point sur sa carrière au cinéma comme en musique.

Comment réagissez-vous quand Joachim Lafosse vous propose de jouer ce rôle d’avocat rattrapé par ses actes pédophiles jusque là tus dans Un silence ?

Daniel Auteuil : Il y a plusieurs choses. D’abord j’ai en tête quel genre de « médecin » est ce Joachim Lafosse. Les Intranquilles permet de comprendre que son travail est de nous montrer la manière dont une famille en apparence ordinaire va se décomposer. Et même si la raison est évidemment différente dans Un silence, la logique reste identique. Marivaux étudiait au microscope les coeurs amoureux, Joachim, lui, en étudie les, les malformations. Il y a un rapport psychanalytique qui m'intéresse dans son travail. Il a aussi un talent dans l’expression… des non- dits des personnages. En l’occurrence, ce qui m'a touché et beaucoup impressionné et bouleversé ici, c'est la femme de cet avocat emprisonnée dans ce silence. Et en acceptant, le rôle de son mari, le méchant de l’histoire, j’ai décidé d'être son avocat en quelque sorte. Qui plus est dans une histoire inspiré par des faits réels (l’affaire Victor Hissel, ancien avocat de familles de victimes de Marc Dutroux, mis en cause pour détention d’images pédopornographiques et condamné à 10 mois de prison ferme, poignardé à plusieurs reprises et blessé gravement par son le fils qui n'avait pas supporté que son père, symbole de la lutte contre les violences sexuelles en Belgique, ait lui-même des penchants pédophiles, NDLR).

Comment justement abordez-vous ce rôle ?

Je prends à mon compte les faits réels mais à partir de là, ne connaissant pas directement ces protagonistes, je m’invente des histoires qui ne sont pas les leurs. Là, je me suis dit que ce père, en acceptant en tant qu'avocat, de défendre les victimes de du plus grand pédophile que la terre ait connu, avait eu le sentiment de se laver de ses propres actes du passé. Je me suis aperçu très vite que c'était un manipulateur, un monstre qui n’est pas vraiment dans le déni mais a le sentiment d'avoir payé. Dire que tout cela part d’une histoire vraie est aussi affreux que vertigineux ! C’est aussi la raison pour laquelle j’aime beaucoup le personnage de la fille que joue Jeanne Cherhal. Elle représente la jeunesse aujourd'hui qui ose parler et rompre le silence. Parfois pour certains rôles, la situation paraît inimaginable. Et moi, j’aime les films où il y des choses que je ne comprends pas. Pour Un silence, je n’ai pas pu par exemple imaginer les crimes de cet avocat, je suis parti sur l’idée du mensonge car au fond c’est ce qui m’est le plus proche. Car il y a toute une palette derrière ce mot. Emmanuelle Béart a fait récemment un documentaire remarquable où elle racontait s’être trouvée dans ce même type de silence. Je dirai que c'est lié à des siècles de patriarcat. Et quand on discute avec des jeunes gens qui s’en offusque aujourd’hui, on s'excuse de ne pas s’en être soi- même offusqué avant

C’est aussi, à cause de l'horreur de ces actes et de son comportement un grand rôle...

Evidemment ! Et j’ai vu en effet cette opportunité plus prosaïque de pouvoir rencontrer un beau rôle parce qu’au fond… il n’y a rien à jouer : il faut tout enlever !

Comment vit-on un tournage dans la peau d’un tel personnage. Vous parvenez à ce que ça ne vous atteigne pas ?

Pour moi, ici, c’est Emmanuelle Devos qui a la partie la plus la plus difficile. Mais c’est vrai que quand on se retrouve le soir à l’hôtel tout seul, ça peut être plombant. Ma chance c’est d’avoir la musique ! Ca me sauve. L'esprit vagabonde ailleurs instinctivement.

Est- ce que la musique, vos deux albums et vos concerts, ont aussi changé votre manière de vivre votre métier d’acteur ?

Par rapport à ce métier, mais c'est lié à l'âge, je ne fais plus de course avec les autres, je ne suis plus en compétition. Je n’ai plus à prouver des choses qu'à moi- même et c'est une grande libération. C'est comme quand on décroche un prix à Cannes, on peut y revenir détendu les années suivantes ! (rires) Je n'ai plus de souci d'image et de carrière. Depuis toujours, les gens savent que je me balade un peu partout et ont compris que ça ne changera pas. J’ai la chance d’avoir acquis cette liberté dont j’ai rêvé tout jeune acteur. Celle des gens que j'admirais comme Marcello Mastroianni ou Michel Serrault. Alors qu’il y a plusieurs moments dans un parcours de comédien, où on veut tout et où on ne peut pas tout avoir car ça ne dépend pas que de vous. Je mesure ma chance d’être là encore… et avec du succès. Quand on me parle des 74 ans que je vais avoir , je ne sais pas qui est ce vieux que je vous dans le reflet de ma glace. J’ai un appétit de vie exacerbé mais pas frénétique. Cette envie de découvrir, de lire, de rencontrer et de rencontrer.

C’est aussi ce qui fait que vous réalisez de nouveau (Le Fil qui sortira le 4 septembre), six ans après Amoureux de ma femme ?

En fait, j'ai compris quelque chose. Avant, je réalisais pour réaliser. Là, il fallait que j'ai vraiment quelque chose à raconter. Vous me direz si ça vous plaira car vous n’aviez pas été tendre avec mes précédentes réalisations  (rires) mais je crois que c’est la première fois que j'avais réellement un truc à dire et la première fois aussi que je parviens à le dire avec autant de fluidité en images. Je me souviens de Michel Piccoli, un autre modèle, qui lui aussi, a réalisé des films tard. Tout ça me rend très heureux

Et la musique va continuer à prendre autant de place ?

J’ai quatre dates de concert au Théâtre de L'Ouvre, à Paris, du 18 au 21 janvier, suivies d’une tournée en France puis en avril au Canada. Mais j’ai aussi de nouvelles envies au cinéma. J'avais écrit il y a quelques années un livre de nouvelles, Il a fait l'idiot à la chapelle !, l'histoire d'un petit garçon dans le milieu de l'opéra. Et je pense à le porter à l'écran. Ce métier m'a rendu heureux toute ma vie. Avec parfois des douleurs et des échecs, ces lendemains où personne vous attend. Mais ça n’a jamais duré. Et quand je me retourne, toutes ces années m’ont semblé duré à peine 10 minutes.

Un silence. De Joachim Lafosse. Avec Daniel Auteuil, Emmanuelle Devos, Jeanne Cherhal… Durée : 1h39. Sorti le 10 janvier 2024