Cette adaptation du chef-d'œuvre de Tomasi di Lampedusa brille par ses costumes et décors somptueux, mais peine à capturer la profondeur mélancolique du roman. Un festin visuel qui sacrifie parfois l'âme de l'œuvre originale sur l'autel du divertissement contemporain.
Dans les palais dorés de la Sicile du XIXe siècle se joue un drame ressuscité par Netflix. Le Guépard, nouvelle adaptation en six épisodes du chef-d'œuvre de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, arrive sur nos écrans avec toute la pompe et la splendeur attendue d'une superproduction internationale. Mais derrière les costumes flamboyants, les fastes étourdissants et les décors superlatifs, cette série parvient-elle à capturer l'âme du roman original et peut-elle faire oublier le film de Luchino Visconti ? Hmmm...
Il faut une certaine audace pour s'attaquer à une œuvre pareille. Les scénaristes Benji Walters et Richard Warlow, ainsi que le réalisateur Tom Shankland, ont osé. Comme Shonda Rhimes l'avait fait avec la Régence anglaise dans Bridgerton, ils ont donc décidé de réinventer l'histoire italienne avec un regard plus contemporain.
Visuellement, la série est une tuerie. La Sicile de 1860 s'anime dans toute sa splendeur : palais baroques, lumière mordorée, paysages arides et repas ogresques.... Mais sous cette belle enveloppe se cache normalement une histoire aux enjeux plus profonds : l'adaptation d'une élite face au changement social ; l'ancien contre le nouveau, le repli morbide d'une noblesse dépassée vers des mondes en train de s'éteindre ; et un regard tragique sur l’Histoire... tout cela avait été capté avec une sensualité folle par Visconti. Ici, c'est un peu moins évident.

Au coeur de l'histoire, on trouve Don Fabrizio, Prince de Salina (incarné par Kim Rossi Stuart). Cet homme observe avec mélancolie le délitement de son monde. Tandis que les chemises rouges de Garibaldi menacent l'ordre établi, son neveu Tancredi (Saul Nanni) comprend que pour survivre, l'aristocratie va devoir évoluer. C'est le fameux : "Si nous voulons que tout reste comme avant, il faut que tout change".
Malheureusement, là où le Fabrizio de Visconti (un Burt Lancaster magnifique) était empreint d'une dignité stoïque et d'une sagesse mélancolique, celui de Rossi Stuart oscille entre brutalité et vulnérabilité sans trouver vraiment sa cohérence. Il a les favoris, mais pas tout à fait la noblesse. Ce "Guépard" moderne semble avoir perdu la subtile ambiguïté qui faisait la force du personnage original. La série (très 3.0) tente d'élargir son propos en donnant plus d'importance aux personnages féminins. Concetta (Benedetta Porcaroli), fille du prince, gagne en présence et en complexité par rapport au film de Visconti. Sa rivalité avec l'éblouissante Angelica (Deva Cassel) pour l'affection de Tancredi constitue d'ailleurs l'un des axes narratifs principaux. Parfait. Mais pas suffisant.

Car la modernisation s'accompagne ici d'une certaine standardisation. On voit l'algo Netflix transformer "Le Guépard" en "Bridgerton" sicilien. Les personnages, malgré le casting italien, semblent souvent plus ancrés dans notre époque que dans celle qu'ils sont censés habiter. Leur langage, leurs attitudes trahissent une contemporanéité qui brise régulièrement l'illusion historique. Coincé entre sa volonté de respecter le vérisme original et les horizons plus pop des séries à succès, ce Guépard n'ose au fond jamais sortir ses griffes spleenatiques...
Mais ce qui manque vraiment, c'est ce que Visconti avait si magistralement capturé : l'atmosphère crépusculaire, la méditation profonde sur la mort et le tragique de la vie. Là où le film nous faisait ressentir la poussière d'un monde en déréliction, la série offre un vernis brillant qui diminue la puissance du récit.
Reste une bonne leçon à retenir : cette nouvelle version est au fond comme les nouveaux riches que Don Fabrizio observe avec méfiance. Elle a l'apparence de la noblesse, mais il lui manque cette profondeur qui ne s'acquiert qu'avec le temps. Luxueuse et attrayante, mais incapable de capter la mélancolie du chef d'oeuvre original.
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