La suite tant attendue de Kaamelott au cinéma ne s'adresse-t-elle qu’aux fans de la série mythique d'Alexandre Astier ?
L’an dernier, en rencontrant Alexandre Astier, Première lui posait une question cruciale : "est-ce qu’un public qui ne connaît pas du tout les six saisons de Kaamelott va pouvoir s’amuser devant le film ?" Le réalisateur répondait ainsi : "Je pense qu’il est visible par tout le monde, oui, j’ai même fait gaffe à ce qu’il le soit. Celui qui ne connaît rien à la série va pouvoir se raccrocher à l’histoire : celle d’un roi qui revient." Le roi a parlé. Kaamelott, le film tant attendu, s’adresse à toutes et à tous, nouveaux venus et vétérans du show. Urbi et orbi, comme dirait l’autre.
Il s’était écoulé seize ans entre les sorties du Retour du Jedi et de La Menace fantôme, mais dix années seulement séparent La Revanche des Sith et Le Réveil de la Force. Le film Kaamelott arrive douze ans après la diffusion de l’ultime épisode du Livre VI à la télé. Un laps de temps où la fanbase la plus fidèle a maintenu la flamme Kaamelott, tandis que les gifs de la série continuent à servir de répliques très valables lors de discussions sur les réseaux sociaux. Si une expression comme "c'est pas faux" est passée dans le langage courant, est-ce qu'on se rappelle que les derniers épisodes de Kaamelott étaient passionnants, jouant la durée, la langueur et la mélancolie contre les punchlines en pastilles des premières saisons ? C'est justement là où le film Kaamelott est le plus intéressant -on va essayer de garder les spoilers au strict minimum- lors de ses flashbacks juvéniles qui montrent qu’Astier se frotte à du neuf dans sa saga, et qu’il prendrait même du plaisir à diriger des ados boudeurs (dont son fils) en quête de liberté, avec une vraie fraîcheur et une vraie liberté de ton. Dans la stricte temporalité de la série, dans son présent, l'évolution des personnages n'est pas vraiment marquante : faisons une mention spéciale à Anne Girouart, qui emmène sa Guenièvre dans une nouvelle direction beaucoup plus grave et mature, mais que le script cloisonne autant que la tour dans laquelle on l’enferme.
La référence obligée de Kaamelott est Star Wars. Justement, avec La Menace fantôme, Lucas faisait en 1999 un film qui se voulait à première vue complètement neuf, capable d’être regardé par de nouveaux-venus complets -au risque de s’aliéner les fans les plus exigeants, et c’est ce qui est arrivé : les plus jeunes étaient ravis, les autres moins. Mais pour une part non négligeable du fandom Star Wars d'aujourd'hui, La Menace fantôme reste le premier Star Wars vu en salles, celui conçu pour eux, les nouveaux, les innocents qui n'y connaissent strictement rien. Kaamelott, premier volet ne s'adresse clairement pas à des nouveaux venus dans l'univers d'Astier. Soyez prévenus : si quelqu'un de votre entourage vous emmène voir le film en vous promettant, comme son auteur, que vous allez quand même piger, ça nous paraît un peu difficile. "En fait, j’ai toujours fantasmé un spectateur qui connaît très bien Kaamelott et qui y va avec quelqu’un qui ne connaît pas. Il se penche vers l’autre pendant la séance en disant : « je t’expliquerai… »" Impossible pour nous de se mettre à la place de ce "spectateur vierge" imaginé par Astier. Mais la façon dont le cinéaste place ses marqueurs -le film s’ouvre sur la fanfare de la série à fonds les ballons- et filme la réapparition des personnages favoris du public (comme Perceval et Karadoc) à la façon des superhéros d’Avengers : Endgame nous fait plutôt penser que Kaamelott, premier volet s’adresse en priorité au public "qui connaît très bien" la série.
"J’invite donc les dilettantes, ceux qui ont regardé la série de manière plus distraite, qui ne se sont jamais vraiment penchés sur la saga, à venir mettre le pied dans la sauce. Parce qu’il remue, le film. Il déplaira peut-être, mais c’est feuillu. C’est chargé", disait encore Astier. "En revanche, je ne vais pas vous dire : « C’est rigolo, c’est fun. » Parce que je pense que c’est mieux que ça." Mais la promesse d'un film Kaamelott n’était pas la même, douze ans après. C'est une opportunité en or de rebattre les cartes. En prononcant les mots Kaamelott, le film, on s'imagine effectivement du cinéma, une nouvelle grammaire, une nouvelle vision, un nouveau cadre et le premier à imaginer la même chose était Astier lui-même : "Le fait d’écrire des tranches de vie de trois minutes pour la télé, c’était quand même une drôle de façon de raconter une saga", nous disait-il. "C’était inédit, intéressant, c’était une belle manière de présenter les choses, mais au bout d’un moment, il fallait changer. Aujourd’hui, quand je vois les images du film, je me dis que Kaamelott était fait pour le cinéma. C’est là sa vraie place." Kaamelott est-il "fait pour le cinéma" ? C'est une évidence, mais encore faut-il que le film Kaamelott fasse du cinéma. Et le film en a peu : peu de travellings (un gros vers la fin, qui survole les marchands du temple squattant autour d'Excalibur), peu de profondeur de champ, peu de mouvement. Dans la série, les personnages rêvaient sans cesse de mouvement, de liberté, de hors champ, et sans cesse la bêtise et la lourdeur des choses et des gens les clouaient dans le cadre. Le cinéma aurait pu leur donner cette liberté.
Parfois, Astier s'attaque au contrechamp épique, filmant un ballet absurde et coloré de machines de guerre ou un incompréhensible jeu du pays de Galles, abondamment commentés par les protagonistes. Ce qui est après tout l'une des marques de fabrique de la série. Sauf que, dans la série, le mécanisme comique fonctionnait parce qu'on ne voyait justement pas ce contrechamp, on le déduisait des vannes des acteurs. Les batailles dans la série étaient drôles parce qu’on ne les voyait pas. Certaines scènes ressemblent ainsi trop à des épisodes très allongés, qui s’insèrent mal dans les deux heures de métrage, avec des transitions entre les temps et les actions pas forcément très heureuses. L’action est souvent immobile, et ça aurait pu donner (comme les derniers Livres de Kaamelott) quelque chose d’intéressant sur le temps qui passe, les guerriers fatigués et leur refus de l’héroïsme viril. Douze ans d’écart -mais peu de choses changent (au cas où : cette absence de changement n’est pas non plus le sujet du film) et le virage vers la dark fantasy et l’aventure n’est clairement pas amorcé. Kaamelott reste Kaamelott. Vous êtes largués ? "Je t’expliquerai".
Ceci dit, on rigole parfois très franchement, grâce à des répliques calibrées et à l’abattage intact de certains personnages (Lionnel Astier, toujours immense) et à l'arrivée de sympathiques nouveaux bien adaptés au verbe astierien (dont Clovis Cornillac et Guillaume Gallienne). Le meilleur restant l’apparition géniale du duc d’Aquitaine incarné par Alain Chabat, qui s’éclipse bien trop vite du film. Justement, si Chabat était partout dans son grand œuvre Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, auquel on peut comparer le film Kaamelott en termes d'ambition et d'attente, il donnait surtout la sensation de jouer collectif, de laisser parler les autres sans oublier de faire du grand spectacle : insérer ici la baston Debbouze/Darmon ou le monologue d’Otis, qui sonne d’ailleurs pas mal avec le recul comme un écho pré-kaamelottien. C’est un paradoxe à résoudre : comment est-ce que l’auteur mastermind, omnipotent et omniprésent, peut-il lâcher du lest et laisser aux autres la place de s’exprimer ? Un paradoxe qui est celui du cinéma, où l’on accepte la notion d’auteur alors qu’un film naît nécessairement du collectif. Astier écrit, produit, et assure le montage de son film : il se donne aussi dans le film l’allure sombre du Luke Skywalker des Derniers Jedi. Et, bien sûr, il compose l’excellente musique du film, évidemment inspirée par les envolées de John Williams, mais est-ce que tout cela n’est pas le fond du problème ? L’auteur avait-il les épaules suffisantes pour tout faire ? "Du coup, est-ce qu’on s’insularise quand on a créé une saga? Je pense qu’on passe un cap, oui. On est libre, en fait. Il faut organiser sa liberté et raconter l’univers qu’on a créé", se justifiait Astier dans nos pages. "Moi, je le raconte avec mes capacités de metteur en scène, de photographe, de musicien. Chacun de ces postes serait probablement mieux exécuté par quelqu’un d’autre, sauf que personne ne sait faire ce que je fais, parce que moi, je fabrique l’ensemble du truc. C’est pas un métier. C’est une signature. C’est ça, mon trésor." Il manque peut-être au film Kaamelott, outre le sens du spectaculaire promis, le sens du collectif. Il manque au trésor d’être partagé. Il y a un an, Astier tranchait, net et précis : "Je m’autorise à vous déplaire, ça fait partie du deal. Je signe et je fais comme je veux. C’est ça mon boulot. Pas de vous convenir." D’où notre conclusion -provisoire, forcément, en attendant de pied ferme les deuxième et troisième volets, en croisant les doigts pour se gourer : en fait, peut-être que la même personne ne peut pas être à la fois George Lucas, John Williams (et Marcia Lucas… et Lawrence Kasdan…) et Luke Skywalker.
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