L’acteur de la saga du Seigneur des Anneaux avait été impressionné par la radicalité de Los Muertos, petit film fauché de Lisandro Alonso. Et la radicalité, l’Americano-danois la retrouve ici à haute dose. Comme dans tous les films de l’Argentin, on assiste une errance lente, contemplative et aride composée de longs plans fixes en pleine nature. Le plus souvent sans musique. Et bien sûr, sans dialogue, ou presque. Car le but du périple est de susciter l’hypnose, par la durée même des scènes, dilatées jusqu’à l’abstraction. On vous voit déjà quitter la salle en pensée, inquiets à l’annonce de cette caricature de « film de festival » prétentieux. Et franchement, on vous comprend un peu, tant il est vrai que cette austérité carabinée a quelque chose d’éreintant, voire d’un peu chichiteuse et absconse, tant elle s’affiche en permanence.Au départ, pourtant, il y a quelque chose d’assez intrigant dans cette histoire d’ingénieur-militaire danois poursuivant sa fille de quinze ans en fugue amoureuse à travers la Patagonie, au XIXe siècle, sur fond de génocide des indigènes. Surtout quand ce père possessif et vengeur a le visage minéral de Viggo Mortensen, ici mystérieux comme un sphinx. On voit donc Viggo monter à cheval. Puis Viggo a chaud. Viggo a soif. Viggo dort à la belle étoile. Viggo sort son épée. Sur ce guerrier silencieux se projettent les (minces) interrogations du spectateur – va-t-il retrouver sa fille ? Sera-elle vivante ? Tiens au fait, il ne mange jamais le Viggo, il n’y a donc pas d’animaux en Patagonie ?- mais fidèle à son style, Alonso prend soin de ne pas les éclaircir, préférant les engloutir comme son personnage au milieu de paysages sublimes aux couleurs coupantes.Compactée dans un format d’image quasi-carré aux contours arrondis, façon polaroïds, la nature ne suscite pas l’élan libérateur d’un espace à conquérir. Elle génère plutôt une angoisse diffuse à la Gerry de Gus Van Sant, un sentiment de perte aux airs d’énigme métaphysique. Au détour d’une grotte fantasmatique ou d’une rencontre en plein désert avec un lévrier irlandais, elle semble même vouloir nous dire quelque chose, cette nature souveraine aux motifs indéchiffrables. Mais quoi, au juste ? La frustration le dispute à la fascination.Eric VernayJauja de Lisandro Alonso avec Viggo Mortensen est présenté à Cannes à Un Certain regard.
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