Ce thriller politico-religieux, tiré d'un roman à succès de Robert Harris, marche fort aux USA. Post-élections américaines, il pourrait bientôt briller aux Oscars.
Conclave vient de sortir en France, précédé d'une bonne réputation outre-Atlantique. Tiré du roman éponyme de 2016 du Britannique Robert Harris (dont le travail a déjà adapté par Roman Polanski avec The Ghost Writer ou J'accuse), il relate sous forme de thriller le vote organisé entre Cardinaux pour élire un nouveau Pape. Tout en respectant les traditions propres au fonctionnement du Vatican, le film lui apporte une certaine modernité, en jouant avec les doubles sens politiques et sociétaux de ce système d'élection. Peu après celle de Donald Trump, tous ces thèmes ont su attirer le public américain en nombre : depuis sa sortie là-bas en octobre, le film de Focus Features a gagné plus de 30 millions de dollars.
Un score élevé pour une "production du milieu", explique Variety, Conclave n'étant ni un film indépendant, ni un blockbuster, et pas non plus la suite d'une saga déjà populaire aux yeux du public. Son budget est estimé à 20 millions de dollars, hors publicité, et il est destiné à un public adulte, pas aux familles ni aux jeunes spectateurs, rappelle le site américain. Seules une poignées d'oeuvres de ce type ont su franchir la barre des 20 millions au box-office américain, en 2024 : Longlegs et ses 74 millions de recettes américaines, Civil War (68 millions), Terrifier 3 (53 millions), L'Amour au présent (24 millions)... Soit des films horrifiques, de guerre ou dramatiques, là où Conclave s'avère très divertissant sous ses airs de "film sérieux." Plusieurs séquences sont d'ailleurs rapidement devenues des mèmes, comme ces plans de Cardinaux en train de fumer/vapoter. Quant à son twist final, qu'on ne spoilera pas ici, il fait beaucoup de bruit, notamment aux Etats-Unis.
Y’all did NOT oversell this vape hit in #Conclave. It is MAGNIFICENT.pic.twitter.com/ecGVzePPe4
— Courtney Howard (@Lulamaybelle) November 28, 2024
"Je voulais réaliser un thriller politique dans la lignée des films des années 1970, comme Les Hommes du président, mais dans un contexte que je n'avais jamais vu avant, a expliqué à l'AFP le réalisateur allemand Edward Berger. Il me semblait essentiel que tout ce qui se passe dans notre société soit intégré, les conflits entre la gauche et la droite, la réforme et le conservatisme..."
Ce metteur en scène a créé la surprise l'an dernier aux Oscars en remportant quatre statuettes grâce à son film pacifiste A l'Ouest, rien de nouveau, sur pas moins de neuf mentions : meilleurs décors, meilleure photographie, meilleure musique de film et meilleur film international. Une renommée qui pourrait bien déteindre sur Conclave, qui est en train de devenir l'un des favoris de l'actuelle saison des cérémonies. Depuis sa diffusion au festival de Telluride, il ne cesse d'être acclamé, et pas seulement pour ses aspects "techniques", même si sa reconstitution en studio de la Chapelle Sixtine fait également partie des points forts du film. Variety partage ainsi plusieurs papiers évoquant ses chances aux Oscars 2025, et suppose que Conclave pourrait s'en tirer avec de nombreuses nominations.
more than any other film, CONCLAVE stands out to me in garnering consistent conversation across multiple spheres: critics admire it, older demos showed up at the box office, younger demos brought it into meme culture, its killing on VOD
— Danny Jarabek (@dtjcinema) December 2, 2024
these give massive contender signals to me pic.twitter.com/Ewrg1yutZh
Un travail d'équipe(s)
Sur le plan technique, Conclave a toutes ses chances, et Focus Features l'a bien compris, mettant en avant sa beauté visuelle au cours de sa promotion. Depuis sa sortie américaine, plusieurs plans du film sont partagés sur les réseaux sociaux, son montage est salué, tout comme sa lumière ou ses décors.
Edward Berger's CONCLAVE is the most beautiful looking film I have seen this year 👏🏻 The use of colors, cinematography, textures, carefully crafted characters, and fantastic acting from the cast, esp Ralph Fiennes - are all perfect 👏🏻 and the twist at the end 🫣😯 #Conclave pic.twitter.com/ISB73sXP9Y
— Krìsh 📽️🍿❄️ (@FlicksandChill) November 28, 2024
D'ailleurs, la directrice de ce département, Suzie Davies (Saltburn), a raconté comment avait été recréée une partie du Vatican à la Cinecitta, en seulement dix semaines et ce dans les moindres détails. Un travail de précision rendu possible grâce à sa complicité avec le chef opérateur Stéphane Fontaine (Un Prophète) ou la costumière Lisy Christl (Anonymous, A l'Ouest rien de nouveau), avec qui elle a dû collaborer main dans la main. Comme quand il a fallu créer les chambres de la résidence où dorment les Cardinaux tout au long du Conclave, par exemple :
"Il n'y a pas beaucoup d'éléments dans les pièces habitées le temps du Conclave par les Cardinaux, a explicité Davies. Pourtant, on devait comprendre d'emblée que certains ont été mieux lotis que d'autres. Comment le personnage de John Lithgow a-t-il réussi à obtenir un appartement palatial ?, par exemple. À la fin, on se rend compte qu'il n'a pas cessé de jouer des coudes, alors on peut se dire qu'il a probablement payé quelqu'un pour obtenir cette chambre... En revanche, ça n'a pas traversé l'esprit de Lawrence qu'en temps de doyen, il aurait pu obtenir une meilleure chambre. Il est probablement au rez-de-chaussée, près des ascenseurs..."
Des acteurs prestigieux
Du côté des comédiens aussi, toute l'équipe de Conclave est saluée. Ralph Fiennes est notamment acclamé à Hollywood pour son rôle principal, celui du doyen des Cardinaux, qui enquête en douce pendant que le vote se déroule à huis clos. Sorte de Sherlock Holmes en soutane, qui cache une perspicacité certaine sous ses airs très sérieux, il "mène la danse", échangeant des dialogues savoureux avec tous ses partenaires de jeu : Stanley Tucci, John Lithgow, Carlos Diehz, Lucian Msamati, Brian F. O'Byrne... Tous ont au moins une occasion de briller en second rôle. Sans oublier Isabella Rossellini, qui œuvre en coulisses en bonne sœur, et qui malgré son peu de temps d'écran (moins de 8 minutes), devient l'un des personnages les plus marquants de l'intrigue.
Si elle gagne l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle en 2025, il s'agira de sa première statuette, et ce malgré ses performances marquantes dans Blue Velvet (1986), de David Lynch, ou dans La Mort lui va si bien (1992), de Robert Zemeckis. Elle deviendrait alors la troisième comédienne à obtenir ce prix avec si peu de temps d'écran : Judi Dench et Beatrice Straight ont toutes les deux gagné cet Oscar grâce à seulement cinq minutes d'apparition, respectivement dans Shakespeare in Love (1998) et Network (1976).
Quant à Fiennes, il a déjà été nommé, mais plus depuis les années 1990 : ses performances dans La Liste de Schindler et Le Patient anglais lui avaient valu une mention, sans récompense à la clé, il y a trois décennies. Il pourrait cette année faire face à Adrien Brody (The Brutalist) et Daniel Craig (Queer).
Un scénario moderne
Peter Straughan, déjà nommé dans la catégorie meilleure adaptation pour La Taupe (Tinker Tailor Soldier Spy), en 2011, remportera-t-il sa première statuette en début d'année ? Avec sa riche intrigue mélangeant politique, religion et égalité des sexes, il n'échappera sans doute pas à une nouvelle nomination aux côtés d'Emilia Perez, écrit par Jacques Audiard à partir du livre Écoute de Boris Razon (2018), ou d'Un parfait inconnu, biopic de la jeunesse de Bob Dylan par James Mangold et Jay Cocks. Mais sera-t-il assez convaincant auprès des votants chrétiens ? La question de la foi à Hollywood a parfois porté ses fruits, mais pas de façon systématique, rappelle Variety en prenant plusieurs exemples.
Il y a bien sûr L'Exorciste, de William Friedkin, soit le film d'horreur ayant enregistré le plus gros succès de l'histoire à sa sortie. Si ce genre est souvent boudé par l'Académie des Oscars, cet exemple en particulier a reçu pas moins de dix nominations, et deux prix : meilleur scénario et meilleur son.
Autre exemple, une décennie plus tard : Mission, de Roland Joffé, a été mentionné dans sept catégories, dont celle du meilleur film en 1987. Il est reparti avec "seulement" le prix de la photo, peut-être à cause de sa lenteur ou de son échec en salles ? La source suppose qu'il était "bien moins mainstream" que Conclave, qui pourrait "mieux s'en tirer grâce à son côté thriller."
Plus récemment, il y a évidemment eu le cas de Spotlight, de Tom McCarthy, grand gagnant des Oscars 2016 en étant à la fois élu meilleur film et meilleur scénario original, même s'il s'inspirait d'une enquête du Boston Globe mettant au jour un énorme scandale sexuel dans l'église catholique américaine. Quant aux Deux papes de Fernando Meirelles, sur les écrans en 2019, il a permis à ses comédiens principaux, Anthony Hopkins et Jonathan Pryce d'obtenir une nomination chacun, plus une autre pour son scénario. Ce qui ne fut pas le cas de Silence, de Martin Scorsese, globalement boudé par l'Académie en 2017, qui n'a sélectionné que la photographie de Rodrigo Pietro - cette année-là, cet Oscar est revenu à Linus Sandgren pour La La Land.
"Ce ne sera certainement pas le cas de Conclave, conclut l'influent média américain, dont l'histoire est accrocheuse. Cette plongée dans les coulisses du Vatican va vite et propose aux spectateurs des réflexions accessibles sur la religion ou la politique. Il a largement le potentiel pour figurer parmi les vainqueurs cette année."
La balle est à présent dans le camp des votants de l'Académie... qui se repenseront sans doute aux Cardinaux du film en glissant leur bulletin dans l'une. Ou plutôt en validant leurs choix d'un clic.
Everyone describing CONCLAVE as a Vatican diva-off really undersold just how melancholic it is. Lonely corridors wandered by lonely men weighed down by an ideal they're too fallible to live up to. That homily about doubt's place in faith is one of the best I've ever heard pic.twitter.com/JSLoaTnCRS
— Gayle Sequeira (@ProjectSeestra) December 1, 2024
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