Célébré cette semaine à Lyon et en DVD, l’auteur de La Dernière Séance reste une énigme pour le public français.
C’est l’année Peter Bogdanovich. L’ex-réalisateur superstar du Nouvel Hollywood reconverti acteur dans Les Soprano, 79 ans, éternelle gueule de Droopy flegmatique, est honoré dans les grandes largeurs. Invité cette semaine du Festival Lumière, célébré en vidéo par deux belles éditions chez Carlotta (Saint Jack et The Last Picture Show, alias La Dernière Séance), il est aussi l’objet d’un livre d’entretiens mené par Jean-Baptiste Thoret (Le Cinéma comme élégie) et d’un documentaire (One Day since Yesterday, visible actuellement sur OCS). Pour que le panorama soit complet, le roman qu’il avait consacré dans les années 80 à sa petite amie assassinée, Dorothy Stratten (La Mise à mort de la Licorne) sort pour la première fois en France, son doc sur Buster Keaton (The Great Buster) a également été présenté à Lumière (après un passage par la Mostra de Venise) et l’homme est l’une des têtes d’affiche du film inédit de son mentor Orson Welles, De l’autre côté du vent, disponible en novembre sur Netflix après quarante ans de purgatoire… Une actu patrimoniale surchargée qui devrait ravir les fans. Mais quels fans exactement ? C’est un peu là que le bât blesse. Bogdanovich, vu de France, reste en grande partie une énigme. Une bizarrerie exotique. Une passion américaine, au même titre que certains de ses compagnons de route seventies comme Hal Ashby ou Warren Beatty. Sous nos latitudes, La Dernière Séance évoque d’abord une chanson et une émission d’Eddy Mitchell plutôt qu’un classique du cinéma US. Monsieur Eddy s’inspirait d’ailleurs de la poésie cinéphile funèbre du film de Bogdanovich, qui raconte les derniers instants d’un vieux cinéma du fin fond du Texas s’apprêtant à mettre la clé sous la porte. Dans la salle, des adolescents aux regards tristes contemplent leurs rêves enfuis, alors que pour eux, paradoxalement, la vie commence à peine.
L’arbre qui cache la forêt
Aux Etats-Unis, La Dernière Séance fit de Bogdanovich une star, une vraie, le genre à animer à l’occasion le Tonight Show de Johnny Carson, et dont on disséquait les amours (avec Cybill Sheperd, puis Dorothy Stratten) dans les pages people. Dans le docu One Day Since Yesterday, Tarantino raconte avec une pointe de jalousie le star power dont jouissait Bogdanovich à l’époque (et si Tarantino est jaloux, ça vous donne une idée de la célébrité du bonhomme). Mais chez nous, La Dernière Séance n’impressionna pas grand-monde. Il faut dire que l’un des traits les plus saillants du film était sa crudité sexuelle, son obsession à dénuder ses actrices face caméra. Un truc totalement inédit dans le cinéma américain grand public de l’époque. John Wayne le qualifia de « film cochon » (« dirty picture ») mais, au pays de Godard et Truffaut, ça n’avait pas grand-chose de révolutionnaire. Inspiré par la Nouvelle Vague, Bogdanovich devint donc l’emblème de ces réalisateurs qui tournent des films à l’européenne au cœur du Middle West (comme aujourd’hui son héritier Richard Linklater). Aujourd’hui, le passage en vidéo du titre français à son titre VO (The Last Picture Show) invite à (re)voir le film avec un regard neuf, comme quand Le Convoi de la Peur de William Friedkin s’est fait rebaptiser Sorcerer lors de sa panthéonisation en blu-ray. On pourra ainsi constater que The Last Picture Show est une matrice méconnue du teen movie, le prototype d’American Graffiti et Génération Rebelle. C’est surtout l’arbre qui cache la forêt Bogdanovich, une œuvre qui n’a quasiment pas été distribuée en France. Et qui comporte une poignée de titres meilleurs que ce film-ci. Le livre de Jean-Baptiste Thoret vous donnera par exemple envie de vous ruer sur Saint Jack et Daisy Miller, les éloges de Tarantino de vous procurer d’urgence Et tout le monde riait… Bogdanovich a aujourd’hui atteint l’âge canonique qu’avaient les génies du cinéma qu’il interviewait quand il était un jeune critique dans les années soixante, et quasiment toute sa filmo est encore en attente de redécouverte et de réhabilitation. Vite, vite. La lumière s’éteint déjà…
The Last Picture Show (La Dernière Séance) et Saint Jack, en DVD et blu-ray chez Carlotta.
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