Ce film d’horreur autour d’un couple agressé en forêt par des personnages sortis d’une comptine pour enfants est aussi inventif que dérangeant. Entretien avec un cinéaste suédois très habité.
A 45 ans Johannes Nyholm en parait vingt de moins. Nous le rencontrons à Paris avant qu’il ne rejoigne ses pénates suédois où il dirige sa propre maison de production et juste après avoir présenté son Koko-di Koko-da au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg. Ce deuxième long-métrage après le magnifique et foutraque The Giant en 2016 (inédit dans les salles françaises) emprunte son titre à une comptine pour enfants. Et de fait, les méchants, les « monstres » de cette histoire, viennent de là. Dès le générique, ils sont là, plutôt inoffensifs d’ailleurs, représentés dans le décor joyeux et coloré d’un dessin recouvrant une boîte à musique. Il y a un géant souriant, une jeune femme évanescente, un gros chien, le tout emmené par un petit monsieur élégamment vêtu. Koko-di Koko-da envisage, comme le récent Midsommar d’Ari Aster, la crise d’un couple comme catalyseur d’une sauvagerie sourde. Quelques mois après la mort de leur enfant, Elin et Tobias partent camper dans la forêt pour rallumer la flamme d’un amour vacillant. La première nuit sous la tente se passe sans encombre jusqu’à ce que l’aube ne survienne et qu’Elin quitte le nid pour aller se soulager. Elle va bientôt être attaquée par nos « amis » extirpés de l’imagerie enfantine qui les a vus naître. Tobias observe impuissant le massacre depuis son sac de couchage. Il n’a pas le temps de reprendre ses esprits qu’une boucle spatio-temporel l’oblige à revivre inlassablement cette matinée cauchemardesque. A ceci près, qu’à chaque fois le modus operandi des croquemitaines varie. Sous son aspect volontairement ludique ce Jour sans fin version trash met en place un petit théâtre (certaines séquences sont racontées en ombres chinoises) où se déverse les frustrations, les angoisses, les lâchetés qui peuvent composer une vie à deux. Johannes Nyholm sait apparemment de quoi il parle…
Première : Pourquoi utiliser le genre horrifique pour raconter la crise d’un couple ?
Johannes Nyholm : Le genre en tant que tel ne m’intéresse pas plus que ça, mon souci est de raconter le mieux possible une histoire. Dans le cas présent, c’est un drame amoureux ayant pour point de départ un lourd traumatisme. Je montre comment mes personnages vont devoir composer avec cette fêlure. Dès lors le film est articulé comme une transposition des rêves et des cauchemars de ce couple. Elin et Tobias voient leur vie réelle se décomposer de manière extrêmement brutale. J’aime ce double rapport, entre onirisme et réalisme. Ces personnages veulent continuer à vivre, j’en suis persuadé.
A quel moment avez-vous décidé que votre récit serait contaminé de l’intérieur par des éléments horrifiques ?
Dès le départ ! Je voulais que mes personnages et le spectateur ressentent physiquement la tristesse dont je parle, en l’occurrence la perte d’un enfant. L’image que j’avais en tête est celle d’un chien qui vous dévore l’estomac. Mon challenge était de respecter cette vision. C’est très primitif…
Comment avez-vous imaginé cette idée des personnages de comptines qui prennent vie ?
Pour créer du mythe, il faut que les personnages soient crédibles et identifiables. Or tous ces personnages de comptines le sont. Ils ont un côté slapstick donc très burlesques et en même temps un peu effrayants. Je me suis échiné à rendre cette dualité prégnante. Et puis, je parle en connaissance de cause. J’ai rencontré ces personnages dans la vraie vie…
C’est-à-dire ?
… Je ne sais pas d’où ils venaient mais je les ai vus…
Dans votre esprit vous voulez dire ?
Non, dans la forêt comme dans le film ! Je campais avec ma copine et ils nous ont agressés. C’est arrivé il y a 15 ans, date à laquelle j’ai écrit le script de Koko-di Koko-da. J’ai ajouté la mort de l’enfant car cela constitue ma plus grande peur. Tout le reste est vrai. Je me suis ainsi retrouvé un jour comme dans le début du film, dans une pizzeria avec ma fille. Nous avons commandé la même chose et j’ai soudain été pris de démangeaisons, j’ai même perdu la vue pendant un court instant… C’était sur une petite île perdue et il a fallu qu’un hélicoptère vienne me transporter à l’hôpital. Je n’avais qu’une crainte pendant le transfert, que ma fille ait les mêmes symptômes que moi. Tout le prologue du film s’inspire de cette expérience, sauf qu’ici, c’est l’enfant qui est touché.
Faire un film est donc un moyen d’exorciser vos peurs ?
Exactement. Pour en revenir à ce que je vous disais tout à l’heure, je ne sais pas si j’ai vraiment croisé les personnages dans la forêt. Peut-être que c’était un rêve, ce qui est sûr c’est que j’ai ressenti leur présence. Je me suis réveillé, j’ai ouvert la porte de notre tente et ils étaient là. Dans la foulée, je me suis mis à fonctionner en boucle, essayant à chaque fois de sauver ma femme du lynchage.
Ce genre de crises sont-elles fréquentes chez vous ?
Non. C’est la seule fois où c’est arrivé. Mon précédent long-métrage The Giant s’inspirait d’un rêve que j’avais fait à 3 ans et qui ne m’a jamais quitté.
En voyant Koko-di Koko-da, on pense à un film de Bergman qui aurait mal tourné?
Ingmar Bergman est le maître en ce qui concerne la crise amoureuse à l’écran. C’est forcément inspirant même si je ne partage pas la théâtralité assumée de sa mise en scène. Je suis plus réaliste. J’essaie de m’approcher de la forme documentaire, de rendre l’expérience avec le moins d’artifices possible.
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