Hélène Milano explique la création de ce film passionnant sur l’école qui suit une classe de troisième au fil d’une année scolaire décisive pour son orientation.
Comment naît chez vous l’idée de Château Rouge, découvert à l'ACID à Cannes en mai dernier avant sa sortie en salles cette semaine ?
Hélène Milano : De mes deux documentaires précédents, Les Roses noires et Les Charbons ardents que j’avais conçus comme un diptyque sur la jeunesse. Des rencontres et des discussions qui les ont nourris qui m’ont fait découvrir combien, même des années plus tard, le moment de l’orientation et du choix à faire si jeune pour son avenir, a laissé chez beaucoup des blessures qui ont du mal à cicatriser. J’ai donc voulu aller explorer cette année décisive, au fil des mois jusqu’à ce que le couperet tombe
Encore fallait- il trouver le collège en question. Qu’est ce qui vous a conduit entre les murs du collège Clémenceau, situé dans le quartier parisien de la Goutte d’Or ?
Mon mari en a été le proviseur adjoint il y a quelques années. Je savais donc qu’il accueillait énormément d’enfants issus de milieu défavorisés et que les équipes pédagogiques menaient un combat quotidien pour lutter contre les ravages du déterminisme. Mais c’est quand il m’a présenté la principale de l’établissement que mon projet a commencé à prendre vraiment concrètement forme. Parce que le courant est tout de suite passé entre nous. Et parce que quand je lui ai expliqué mon idée de montrer l’engagement quotidien des enseignants pour leurs élèves, c’est elle qui m’a suggéré de me concentrer sur les enfants, sur ces élèves de troisième. Et son intuition était la bonne
Comment se fait- on accepter des élèves comme des enseignants avant de commencer à tourner ?
Ca prend forcément du temps. Celui d’expliquer avec le plus de précision possible ce que je veux faire. De répondre aux différentes questions. Il y a évidemment des gens qui déclineront mais l’aide et la confiance de la principale m’ont évidemment énormément aidée auprès de mes différents interlocuteurs. Et ces échanges vont aussi et surtout nourrir mon film. C’est là que je suis par exemple frappée par l’acuité d’une grande partie de ces élèves dans le regard qu’ils portent sur l’institution scolaire. Et que mon travail va consister à ce qu’ils parviennent à confier les mêmes choses pendant le tournage sans perdre leur authenticité
C’est la raison pour laquelle vous les avez interviewés face caméra, en plus de ce que vous avez capté d’eux au fil du tournage ?
Oui et non. Car ce n’était pas prévu au départ. Ce que j’ai assez vite décidé d’organiser, c’est une sorte d’atelier où chaque mardi, je réunissais les élèves volontaires – une vingtaine au total – pour partager avec eux différents textes, allant de Virginia Woolf à Joël Pommerat en passant par Musset et Koltès et faire des improvisations. Et tout cela va participer à la construction du film qui s’appuie sur deux temporalités différentes. D’un côté, la trajectoire temporelle de l’année scolaire qui se termine par le choix d’orientation. De l’autre, une trajectoire plus en spirale nourrie d’une forme d’introspection au cœur de ce que traversent les adolescents. Et c’est ma productrice Céline Loiseau qui m’a poussée à faire ces entretiens. J’étais plutôt réticente car j’en avais déjà pas mal fait dans mes films précédents et je ne voulais pas me répéter. Mais je me suis laissée convaincre et les moments qu’on retrouve dans le montage final sont essentiels au film.
Vous commencez le montage pendant le tournage ?
Le travail concret commence vraiment à la fin des prises de vue. Et j’ai eu la chance de retrouver Cécile Dubois, ma monteuse des Charbons ardents. Je savais qu’elle poserait immédiatement le même regard que moi sur ces jeunes gens. Qu’elle serait aussi touchée que je l’ai été par eux. Il y a chez elle ce mélange de délicatesse et de rigueur qui était indispensable à ce projet. Et puis ni elle ni moi n’avons peur de proposer des choses l’une à l’autre et de nous planter. Notre processus de travail est vraiment organique.
Quand et comment sait- on que le tournage est terminé ?
Il y a d’abord toute la période de construction où on bâtit, on change de forme, on change le contenu. Et puis on rentre dans une phase qui ressemble plus à une recherche de mouvements intérieurs. A partir de là, on sait quand on approche de quelque chose qui va vivre et respirer dans ce mouvement- là. Et on ne change plus la danse.
Château Rouge. De Hélène Milano. Durée : 1h47. Sortie le 22 janvier 2025
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