Première
par Thomas Baurez
Ça commence par un cliché : une rupture entre deux amants à la terrasse d’un café. Elle, les yeux embués de larmes ; lui, essayant péniblement de la réconforter. Et puis cette menace, lâchée dans un sanglot par la jeune femme : « Si tu me quittes, tu dois mourir ! » Le cliché se fissure soudain de partout et prend l’allure d’un conte, d’une mythologie. Elle, elle s’appelle Ondine, comme la sirène légendaire qui peut sauver un coeur perdu mais doit se faire aimer en retour ad vitam aeternam sous peine de devoir tuer son amant. Dès lors, tout le réel qui entoure le couple prend une dimension étrange sans pourtant avoir besoin de se déguiser. C’est la façon de le regarder qui le rend différent (on retrouve ce prodige chez Luis Buñuel et Manoel de Olivieira). Le cinéaste allemand Christian Petzold (Phoenix) filme avec une précision remarquable ce monde qui s’accorde aux désirs de son héroïne. La beauté de cette histoire est justement la façon dont Ondine va refuser la fatalité du mythe auquel son personnage est attaché pour prendre en main son destin. Sa rencontre « aqueuse » avec Christoph est un choc filmé avec un humour volontairement toc (la caméra vibre, un aquarium explose, l’eau gicle sur les futurs amants). C’est que Christoph est scaphandrier et passe la plupart du temps sous l’eau. Petzold reforme le couple d’interprètes de son précédent long métrage, Transit : Paula Beer, primée à Berlin, et Franz Rogowski, tous deux remarquables de fragilité partagée. L’amour n’est pas un jeu de domination mais implique une douce réciprocité des forces. Ondine est un mélo étrange, beau et intrigant.