Avec Mignonnes (sorti le 19 août), Maïmouna Doucouré signe le portrait d’une enfant de 11 ans qui construit son passage précoce vers l’adolescence dans un groupe de danseuses de son âge, jouant de manière déjà très adulte avec leurs corps. Un premier long primé pour sa mise en scène à Sundance et à Berlin, dont sa réalisatrice nous détaille les secrets de fabrication.
En s’inspirant de la réalité
On a découvert Maïmouna Doucouré en 2017 avec son court, Maman(s), récompensé par plus de 60 prix, de Sundance aux César. C’est à cette époque qu’elle commence à réfléchir à ce qui deviendra Mignonnes. Le portrait d’Amy, 11 ans, qui va trouver dans un groupe de danseuses de son âge un moyen de fuir un boule- versement familial. "Tout part d’une fête du quartier dans lequel j’ai grandi. Un groupe de petites filles de 11 ans, habillées de manière très sexy, se sont mises à danser de manière très sensuelle devant des mamans pour certaines voilées ou de culture africaine traditionnelle. Ça a été un choc. Puis j’ai repensé à mon enfance – j’ai grandi dans une famille polygame avec un papa et deux mamans –, et à mon propre questionnement, à cette époque-là, sur la façon de devenir une femme." Elle trouve dans ce matériau un sujet de film qu’elle va creuser. "Pendant plus d’un an, j’ai arrêté dans les rues des groupes de filles de cet âge-là. J’ai filmé, quand elles me l’autorisaient, les histoires de ces préados. Ça m’a permis de comprendre de l’intérieur de quelle façon elle vivaient cette transition de l’enfance à l’adolescence." Tout ce qu’on voit dans le film est inspiré de faits réels, "y compris quand mon héroïne prend une photo de son sexe. Dans la vraie vie, elle n’avait que 10 ans et monnayait cette photo 1 euro aux garçons qui voulaient la voir".
Mignonnes et sans complexes [Critique]En dénichant le bon casting
De toutes ces histoires saisies sur le vif, Maïmouna Doucouré aurait pu faire un documentaire. Mais la fiction s’est d’emblée imposée. "Parce que je viens de là et que je sais comment créer une empathie avec mes personnages. Mais aussi parce que j’ai trouvé des comédiennes incroyables." À commencer par Fathia Youssouf. "Le casting s’est étalé sur six mois. On a vu 400 fillettes à travers la France mais, deux mois avant le premier clap, on n’avait pas trouvé notre héroïne." Et puis, un matin, la directrice de casting Tania Arana l’appelle. "Elle était en larmes et m’a dit qu’elle avait trouvé notre Amy. Et quand elle m’a envoyé les essais de Fathia, j’ai moi aussi eu envie de pleurer. Un casting, c’est comme une rencontre amoureuse. Une alchimie qui n’a aucune explication rationnelle. Je suis fière de mes comédiennes, de la manière dont elles se sont emparées de leurs rôles et de l’authenticité qu’elles dégagent à l’écran."
En trouvant une manière singulière de diriger ses jeunes actrices
Pour parvenir à cette vérité-là, la spontanéité ne suffit pas. Le travail de direction d’acteurs est essentiel. Et il commence bien en amont du film. "Je ne leur ai pas donné le scénario. Je leur ai raconté l’histoire comme un adulte la raconterait à un enfant. Puis, au-delà des répétitions, on a fait plein de sorties ensemble pour apprendre à se connaître. Et, surtout, très vite, je les ai appelées par le prénom de leur personnage pour qu’elles s’y habituent." Le but est de traduire de la manière la plus imagée possible les directions souhaitées pour qu’elles soient immédiatement intelligibles. "Pour cela, j’ai associé chacune des filles à un animal afin qu’elles le traduisent dans leur façon de se mouvoir. À Fathia, j’ai expliqué qu’Amy était un petit chaton chétif qui allait se métamorphoser en chat puis en panthère noire." Il y a dans ce travail avec ses jeunes comédiennes un esprit ludique revendiqué. "Comme elles sont gourmandes, j’ai traduit sur le plateau les mots habituels du cinéma en vocabulaire culi- naire. Je disais 'chips' pour qu’elles s’arrêtent de jouer ; 'hamburger' pour qu’elles reprennent ou 'pastèque' quand je souhaitais plus d’énergie." Le cinéma comme un jeu au sens premier du terme.
En comprenant ses héroïnes au lieu de les juger
Le but de Maïmouna Doucouré est clair : "Je veux que chaque spectateur puisse devenir une petite fille de 11 ans pendant 1 h 30. Pour comprendre et non juger." Son regard de cinéaste raconte aussi des enfants tout sauf "mignonnes", avec des attitudes – en particulier dans les scènes de danse, hypersexualisées – qui peuvent créer un malaise passionnant car le spectateur n’est ici jamais voyeur. "J’ai fait ce film pour qu’on ouvre les yeux. Quand des préados de 13 ans cumulent 400 000 abonnés sur Instagram en posant en string, ça crée forcément un mimétisme chez des filles un peu plus jeunes qui aspirent à entrer aussi dans la lumière. Donc, puisque je me situe dans leurs têtes, je devais montrer à l’image cette hypersexualisation et la jouissance qu’elles peuvent prendre dans cette représentation." Mais avec des limites. "Je ne les montre pas nues ou en string. Je donne à voir ce qu’Amy va chercher dans ces moments en apparence extrêmes : une libération. Le plus important pour moi est qu’elle puisse prendre le temps de choisir la femme qu’elle veut être sans qu’on ne lui impose rien. Dans la même logique, je ne veux, moi, rien imposer aux spectateurs."
En étant une femme
Notre regard de spectateur aurait été tout autre si un homme avait filmé cette histoire et en particulier les scènes les plus sexuées. Le male gaze aurait provoqué une gêne et sorti le spectateur de l’intrigue. La réalisatrice acquiesce. "C’est une évidence : ce film n’aurait pas pu être tourné par un homme. D’abord parce qu’il n’aurait pas pu aborder aussi spontanément que moi des préados dans la rue. Mais aussi parce que sa manière de filmer aurait été différente. Il y a chez moi, en tant que femme, une identification très forte aux personnages qui influence ma façon d’observer, donc de filmer. J’aime le cinéma de sensations. Et ce sont aussi les miennes que je cherche à faire ressentir." Comme un pont passionnant entre deux générations.
Mignonnes, de Maïmouna Doucouré, avec Fathia Youssouf, Médina El Aidi- Azouni, Esther Gohourou. Actuellement au cinéma.
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