En 1995, Richard Linklater, l'auteur de Génération rebelle (Dazed and Confused), décide de filmer ce qui se passe quand deux personnes tombent amoureuses. Ca donne Before Sunrise, une comédie romantique intimiste incarnée par Julie Delpy et Ethan Hawke, dont le succès est surtout d'estime. Dix ans plus tard, le trio se reforme pourtant pour mettre en scène les retrouvailles du couple éphémère dans Before Sunset, et repart avec une nomination à l'Oscar du meilleur scénario. Dans Before Midnight, une nouvelle décennie a passé et on retrouve cette fois un vieux couple aux prises avec les difficultés de faire vivre l'amour sur la durée.Julie Delpy, Ethan Hawke et Richard Linklater évoquent cette aventure vieille de 20 ans.
Boy meets Girl
Richard Linklater : Une fois, j’ai rencontré une fille à Philadelphie et on a passé toute une nuit à marcher, à parler... Ça n’a rien d’extraordinaire, je pense que beaucoup de gens ont vécu la même chose, mais ça m’a donné envie de tourner un film qui tenterait de capturer ce qui se passe entre deux personnes quand elles tombent amoureuses. Filmer un coup de foudre. C’est comme ça qu’est né Before Sunrise. Je l’ai imaginé comme une comédie romantique, mais qui serait débarrassée des poncifs du genre. Une comédie romantique réaliste, minimaliste et très personnelle. J’ai élaboré une première version du script, mais comme elle était un peu boiteuse, je me suis mis en quête d'acteurs qui seraient également capables d’écrire et d’apporter des idées. Avec Julie et Ethan, on a passé trois semaines enfermés dans une chambre d’hôtel pour tout reprendre à zéro.
Ethan Hawke : À l’époque, j’en voulais, j’avais faim ! Mais j’étais aussi super intimidé car Julie était une belle jeune femme sauvage et très sûre d’elle. Elle avait déjà tourné avec Godard, Kieslowski, Schlöndorff...De très grands cinéastes ! Richard, lui, avait réalisé Slacker (1991) et Dazed and Confused (1993), deux films importants à mes yeux. La presse voyait en lui « la voix d’une génération ». C’était une opportunité géniale pour moi de prendre part au processus créatif d’un film. En général, les réalisateurs veulent que tu te plies à leur vision. Richard, lui, te demande de la construire avec lui.
Julie Delpy : Si Ethan et moi n’avons pas été crédités comme scénaristes sur Before Sunrise, c’est juste parce qu’on était totalement inexpérimentés à l’époque. Je vous passe les détails techniques mais disons qu’on s’est fait entuber ! Peu importe, c’était déjà une chance extraordinaire de pouvoir travailler sur ce film. Moi, j’écrivais des scénarios dans mon coin depuis des années, sans aboutir à rien.
Richard : On a décidé un peu par hasard que l’action se déroulerait à Vienne, mais j’ai toujours pensé – et ça s’est confirmé dans les films suivants –, que le lieu de tournage devait vraiment être un personnage à part entière. Before Sunrise parle de gens qui s’ouvrent à l’inconnu, et on ne vit jamais ça aussi intensément que quand on a 20 ans et qu’on part en voyage.
Julie : Le fait d’écrire sur notre génération a beaucoup aidé. Ethan et moi avions une vingtaine d’années, on avait envie de parler d’amour, on était très romantiques et on a mis des choses vraiment personnelles et intimes dans ce script. C’était un film sur des jeunes vu par des jeunes. Richard, lui, avait 30 ans à l’époque, donc son regard était plus distancié. À nous trois, on a trouvé le bon équilibre.
Et après ?
Richard : Before Sunrise avait pas mal marché, sans plus. Je croisais parfois des gens qui me demandaient ce que Céline et Jesse étaient devenus, s’ils avaient fini par se retrouver, s’ils vivaient ensemble, etc., mais c’était assez rare.
Ethan : On a tourné Before Sunset pour se faire plaisir. On était persuadés d’être les trois seules personnes au monde que ça intéressait.
Richard : Cette suite a été faite sans aucune logique économique.
Julie : Pour l’histoire, on a exploré plein de pistes différentes. Moi, à la base, je voulais faire une scène de cul en temps réel... Céline et Jesse se retrouvent et font l’amour pendant toute la durée du film ! Bon, ça n’a convaincu personne, mais l’idée d’un film en temps réel vient de là. Au final, on a fait exactement l’inverse de ce que j’avais envisagé au départ : Céline et Jesse se retrouvent mais n’échangent pas un seul baiser.
Ethan : C’est quand la bande-annonce a commencé à circuler que j’ai compris que cette histoire suscitait quelque chose de spécial. Les gens étaient très enthousiastes, comme s’ils attendaient cette suite depuis longtemps. Lentement mais sûrement, Céline et Jesse avaient fini par exister de façon très concrète aux yeux des spectateurs. Les gens croient parfois que ce sont des autoportraits de Julie et de moi. On met tellement de nous-mêmes dans l’écriture qu’on a réussi à brouiller les pistes entre les personnages et nous. Je suis incapable de dire où s’arrête la vie et où commence la fiction. Céline et Jesse vivent désormais une vie parallèle ; je trouve ça assez fascinant.
Ils vécurent heureux ?
Ethan : J’aime beaucoup la fin de Before Sunset mais, ces dernières années, j’avais le sentiment étrange et lancinant qu’elle avait un goût d’inachevé. Un jour, on s’est retrouvés tous les trois à New York et on a commencé à réfléchir à la possibilité d’un troisième film. On est rapidement tombés d’accord sur l’idée de parler d’un couple confronté à la routine.On a décidé de tourner ce troisième volet en Grèce, non seulement pour des raisons pratiques – Richard a des amis réalisateurs là-bas –, mais aussi parce que le sujet de ce film et au fond de toute la trilogie, c’est le temps. En Grèce, le temps est partout. Dans chaque pierre, dans chaque monument. Comme si le paysage était une horloge qui nous confrontait en permanence à la question de l’éternité.
Julie : Des trois films, celui-ci a été le plus complexe à écrire. Il n’y avait plus d’éléments romantiques pour nous aider à retomber sur nos pattes. On parle de deux personnes qui vivent ensemble depuis dix ans, il fallait donc que ça sonne juste et que ce soit intéressant à regarder !
Richard : Ça a aussi été le plus difficile à interpréter. Selon moi, Julie et Ethan n’ont pas été assez félicités pour leurs prestations dans ces films. Comme tout a l’air naturel, les gens pensent qu’ils se contentent d’être eux-mêmes et d’improviser. D’une certaine façon, ça veut dire qu’on a gagné notre pari mais, d’un autre côté, c’est refuser de reconnaître que tout est très écrit, découpé au cordeau. On répète énormément. Par exemple, la scène de l’engueulade à l’hôtel, c’est trente pages de dialogues... Certaines personnes auraient eu besoin de deux semaines pour la mettre en boîte, alors qu’on l’a pliée en trois ou quatre jours parce que Julie et Ethan bossent comme des fous en amont.
20 ans de plus ?
Ethan : Honnêtement, depuis Before Midnight, on nous demande s’il y aura un quatrième film. Je n’en sais rien. Toute cette aventure est arrivée par accident. On ne s’est pas assis autour d’une table en se disant : « Faisons une trilogie sur le sentiment amoureux. » Le résultat aurait été atroce ! (Rire.)
Julie : Je ne ferme pas la porte à la possibilité d’un quatrième volet. Ce serait intéressant de faire de tout ça un « life project ». Ça dure depuis vingt ans, alors pourquoi pas vingt de plus ? Mais on va d’abord reprendre notre souffle et laisser s’écouler un peu de temps.
Richard : Si on est encore tous en vie dans dix ans et qu’on a quelque chose d’intéressant à dire, c’est possible...
Julie: Reste le problème du titre. Before Sunrise, Before Sunset, Before Midnight... Je ne sais pas comment on pourrait appeler le prochain. Before my ménopause ?
Interview Frédéric Foubert
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