Première
par Gérard Delorme
Depuis son premier long métrage, "A Swedish Love Story" (1970, inédit en France), Roy Andersson n’en a tourné que quatre, les trois derniers au rythme d’un film tous les sept ans. Celui-ci est le troisième volet d’une trilogie débutée avec "Chansons du deuxième étage" (2000), qui a permis au cinéaste de mettre au point une formule indéniablement originale caractérisée par une narration fragmentée, une inspiration surréaliste et un style visuel obéissant à des règles strictes : tournage en studio, caméra fixe, plans-séquences, composition asymétrique, photo au grand angle, profondeur de champ infinie, couleurs désaturées avec une dominante beige. Le résultat est si singulier qu’il faut un temps d’adaptation au spectateur, même si Un pigeon… est probablement son œuvre la plus accessible. Il commence par une série de sketchs plus ou moins comiques sur le thème de la mort, avant qu’une sorte de fil rouge ne se dégage grâce à ces deux personnages, tristes clowns vendeurs de farces et attrapes. Derrière l’humour froid et les disputes de vieux couple, ils révèlent des bribes d’humanité en confiant leurs angoisses métaphysiques. À défaut de continuité narrative, le film trouve une sorte de rythme dans les ruptures de ton, les changements de décors et les superpositions d’époques, comme lors de cet épisode absurde où Charles XII, en route pour la guerre avec son armée, fait une halte dans un bistrot contemporain. L’ensemble relève du collage et il faut reconnaître à Andersson un vrai talent poétique pour trouver de l’harmonie dans la monotonie, des variations dans la répétition et des résonances dans les leitmotivs.