Nitram
Ad Vitam

Justin Kurzel poursuit son exploration de l’histoire violente de l’Australie et offre à Caleb Landry Jones un prix d'interprétation à Cannes.

Après Le Gang Kelly, son dernier film en date, évocation du Jesse James australien Ned Kelly, qui baignait dans une imagerie de violence rock’n roll et romantique, Justin Kurzel continue de sonder les racines du mal de son pays natal avec Nitram, mais dans un style beaucoup plus clinique et retenu. Il faut dire que le sujet est on ne peut plus sérieux : le cinéaste s’intéresse ici à une tuerie survenue à Port Arthur, en Tasmanie, en 1996 – un jeune homme nommé Martin Bryant y avait tué 35 personnes, et blessé 23 autres, dans un déferlement de sauvagerie inexpliquée, qui avait traumatisé l’Australie, au point qu’une loi permettant un meilleur contrôle de la circulation des armes à feu avait été adoptée dans les deux semaines suivant le massacre. Les plaies là-bas sont encore vives – en apprenant qu’un film sur le sujet était en passe d’être tourné, certaines familles de victimes ont manifesté leur inquiétude.

Cinéaste de l’excès et de la démesure (voir son Macbeth furibard avec Michael Fassbender et Marion Cotillard, sa précédente participation à la compétition cannoise, en 2015), Kurzel prend ici bien garde de ne jamais pouvoir prêter le flanc à la moindre accusation de fascination pour la violence. Nitram brosse le portrait du futur auteur du massacre de Port Arthur dans un style distancié, presque « éteint », qui évoque parfois la langueur triste de l’Elephant de Gus Van Sant, accumulant les indices qui permettraient de comprendre le basculement du jeune homme vers la folie meurtrière (maladie mentale, parents défaillants, exclusion sociale…), dans une collection d’instants suspendus où l’on sent peu à peu monter la colère, jusqu’à l’explosion finale. A quelle distance filmer Nitram (le prénom Martin, écrit à l’envers, et qui sonne soudain comme nitroglycérine) pour le comprendre sans l’excuser ? Pour qu’il nous touche sans qu’il nous fascine ? Justin Kurzel n’élude pas ces questions, au contraire, il les soupèse à chaque instant, à chaque plan, comme on soupèse une grenade dégoupillée qui menace de nous exploser au visage. Aidé en cela par la prestation très précise du toujours extra-terrestre Caleb Landry Jones (révélé dans Antiviral de Brandon Cronenberg, recroisé depuis notamment dans Twin Peaks : The Return), de tous les plans ou presque, et dont le regard translucide de grand enfant triste semble nous poser une question condamnée à rester sans réponse.

Le Palmarès de Cannes 2021