Jeff Bezos vient de s’offrir James Bond pour un milliard de dollars. Et avec, peut-être, le fameux Permis de tuer… 007.
À la sortie de Mourir peut attendre à l'automne 2021, on s'interrogeait déjà sur l'avenir de James Bond après Daniel Craig. Parmi nos hypothèses, celle d'une franchise déclinée à l'infini, avec par exemple un spin-off consacré à Paloma, l'espionne incarnée par Ana de Armas, en exclusivité sur Amazon Prime. Un scénario qui s'est rapproché de la réalité quand Amazon a racheté le catalogue MGM (la compagnie qui détenait les droits de distribution de Bond) pour créer Amazon MGM Studios.
S'en sont suivies des négociations houleuses entre les gardiens historiques de 007, Barbara Broccoli et Michael G. Wilson, et les stratèges d'Amazon. Deux visions s'affrontaient : celle d'une production traditionnelle, artisanale, et celle du streaming tous azimuts. L'idée d'une série Bond en streaming faisait frémir Barbara Broccoli, viscéralement opposée à la banalisation de l'agent secret dans le flux quotidien du multi-écrans. Pour la fille de "Cubby" Broccoli, le producteur des premiers films, liée à 007 depuis son rôle d'assistante relations presse sur L'Espion qui m'aimait, chaque film Bond devait rester un événement planétaire, tant artistique que commercial.
Ce 20 février 2025, le verdict est tombé : Amazon a gagné. Broccoli et Wilson se retirent, conservant uniquement un rôle d'administrateurs des droits. Le "contrôle créatif" sur le destin de Bond passe aux mains de Jeff Bezos et son équipe. Si l'annonce du prochain James Bond devrait être accélérée, c'est probablement la seule bonne nouvelle dans cette bataille perdue entre création artisanale et industrie du streaming. Le parallèle avec le rachat de Star Wars par Disney en 2012 est frappant. Treize ans après la signature, le bilan fait grincer des dents : l'univers Star Wars s'est dispersé dans une constellation de spin-offs et de séries dérivées, perdant au passage sa force originelle, celle qui naissait sur grand écran. Même Kathleen Kennedy, qui devait incarner la continuité avec l'ère Lucas, s'est effacée : ironiquement, le prochain film Star Wars sera une adaptation de la série The Mandalorian.
James Bond : Daniel Craig réagit et salue Barbara Broccoli et Michael G. WilsonTel Janus, le dieu romain aux deux visages qui servit de nom de code au traître de GoldenEye joué par Sean Bean, Bond a toujours eu une double identité : à l'écran, les acteurs qui l'incarnaient ; dans l'ombre, Barbara Broccoli qui en tirait les ficelles. Car c'est bien elle qui, aux côtés de Michael G. Wilson, a protégé l'agent secret pendant des décennies. Non pas en tant que créatrice, mais comme héritière et gardienne du temple, perpétuant l'héritage de Ian Fleming et de son père, "Cubby".
Eon, leur entreprise familiale, a toujours mis la qualité avant la quantité - quitte à brider parfois les possibilités créatives d'un film Bond (ce qui n'a d'ailleurs pas empêché quelques ratages et quelques opportunités loupées - un Bond par Spielberg ou Tarantino par exemple…). Mais leur approche garantissait une chose : chaque opus avait été imaginé, contrôlé, validé par des humains. Qui avaient une vision singulière. Il y a deux jours, quand Jeff Bezos demandait sur les réseaux sociaux qui devrait être le prochain Bond, il révélait déjà ce qui risque d'éroder la franchise : des choix créatifs dictés par l'algorithme et les sondages Twitter. Cette philosophie s'oppose radicalement à celle d'Eon, qui a systématiquement refusé les projets de séries et de produits dérivés jugés irrespectueux du personnage.
Broccoli, qui n'a jamais caché sa méfiance envers Amazon, citait souvent son père : "Ne laisse pas les gens de passage prendre les décisions permanentes". Quand Jennifer Salke, directrice d'Amazon Studios, a qualifié Bond de simple "contenu" lors d'une des premières réunions avec les dirigeants d’Eon, la tension était palpable. Mais face à une offre d'un milliard de dollars (selon Deadline), même les derniers remparts finissent par céder. Pour comparaison : Amazon avait déboursé 6,5 milliards pour MGM, Disney 4 milliards pour Star Wars.
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Pour imaginer l'avenir de James Bond, il suffit de regarder le catalogue d'Amazon Studios. Le studio a déjà produit ses clones de 007 : Reacher et Jack Ryan, enquêteurs musclés version Prime Video. Sans oublier Citadel, série "bondienne" à 300 millions de dollars qui a engendré des versions italiennes et indiennes, créant un multivers digne de Marvel (avec, tiens tiens, les frères Russo aux manettes). Leur adaptation du Seigneur des Anneaux montre aussi leur stratégie : capitaliser sur un héritage prestigieux - celui de Tolkien via Peter Jackson - pour le décliner sur plusieurs saisons.
La vision algorithmique d'Amazon est claire : transformer les best-sellers en contenus streamables, guidée par les données de lecture de leur plateforme. Le prochain Bond sortira-t-il directement sur Prime Video ? Pas forcément. Mi-2024, Mike Hopkins, patron d'Amazon MGM Studios, affichait l'ambition de sortir plus de films en salles, visant 16 sorties annuelles d'ici 2027. 007 pourrait mener cette charge... tout en alimentant séries et spin-offs. Les règles du jeu bondien, qui ont toujours excité les fans par leurs variations subtiles, risquent cette fois de muter radicalement. Un film origine sur Q en 2028 ? C'est désormais possible.
Qui sera le prochain James Bond ? Jeff Bezos sonde les fans sur Instagram
Comme l'analysait le sociologue américain Daniel Boorstin, l'histoire américaine se lit à travers ses "pseudo-événements" : quand le récit, même fictif, acquiert la même importance que l'événement lui-même, devenant in fine un argument marketing. James Bond est certes depuis longtemps un produit calibré selon un cahier des charges précis (dont la chanson-thème est l'exemple le plus flagrant), mais il devient aujourd'hui autre chose : un produit Amazon. La publication de Jeff Bezos sur le casting du prochain 007 en est la preuve éclatante. Bienvenue dans l'ère de l'algorithme, James : d'ailleurs, les followers de Bezos semblent plébisciter Henry Cavill pour enfiler le smoking. Une coïncidence ? L'ex-Witcher est déjà sous contrat Amazon pour une série Warhammer 40 000. Le voilà validé par l'algorithme, prêt à être transformé en "contenu" par ces fameux "gens de passage".
Alors, oui, comme d’habitude, James Bond will Return. Mais sous quelle forme… À l'époque de Mourir peut attendre, il manquait une dimension pour envisager le futur de 007 : nous n'étions pas encore dans l'ère de l'intelligence artificielle. Maintenant que nous y sommes, nul doute que cloner numériquement Sean Connery pour de nouvelles aventures figure déjà sur la to-do list d'Amazon.
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