Découvert au festival de Sundance en janvier dernier, le premier film de Celine Song s’est imposé au fil des mois comme l’un des favoris de la saison des prix. Un buzz qui devrait le conduire jusqu’aux Oscars.
Chaque année, le conte de fées recommence. Parmi la centaine de films présentés en janvier au festival de Sundance, l’un émerge de la masse, devient la coqueluche de l’événement, LE film que les festivaliers se doivent d’avoir vu avant de repartir vers New York ou Los Angeles ; dans les mois qui suivront, normalement, le buzz n’en finira pas de grossir et le film en question finira l’année en chouchou des cérémonies de remise de prix et des tops des magazines spécialisés. Le refrain est connu, de Sexe, mensonges et vidéo (Palme d’or 89, qui lança l’âge d’or indie des années 90) à CODA (le remake de La Famille Bélier, dont les droits furent achetés à un prix record par Apple et qui finit par remporter l’Oscar du meilleur film).
Cette année, l’heureux élu s’appelait Past Lives. Passé après Sundance par le festival de Berlin, sorti en juin aux Etats-Unis où il a rapporté plus de 10 millions de dollars, ce drame amoureux signé Celine Song vient d’arriver dans les salles françaises, au lendemain de l’annonce de ses nominations aux Golden Globes. Le film est cité dans les catégories meilleur film dramatique (aux côtés de poids lourds de l’année comme Oppenheimer, Killers of the Flower Moon, La Zone d’intérêt, Maestro et Anatomie d’une chute), meilleure actrice dramatique pour Greta Lee (surtout connue jusqu’à présent pour ses rôles dans les séries Poupée russe et The Morning Show), meilleur film en langue non anglaise (car on y parle plus coréen qu’anglais), ainsi que meilleur scénario et meilleure réalisation pour Celine Song. En parallèle, depuis le début du mois de décembre, Past Lives n’en finit pas d’apparaître dans les listes des meilleurs films de l’année, celle de Variety comme celle du très respectable American Film Institute. Meilleur film de 2023 selon l'influent site Indiewire, le film se place aussi à la troisième position du top de Sight and Sound, qui compile les votes de plus de 100 votants. A ce stade, une brouette de nominations aux prochains Oscars (elles seront annoncées fin janvier) paraît assurée.
Celine Song se retrouve donc à jouer des coudes avec des poids lourds comme Martin Scorsese, Greta Gerwig ou Christopher Nolan. Pas mal pour une réalisatrice débutante, sans beaucoup d’expérience dans le cinéma et dont le seul crédit hollywoodien jusqu’alors était un passage dans la salle d’écriture de la série Amazon La Roue du temps. La boîte de production et de distribution A24, qui dicte aujourd’hui les tendances du ciné US, a choisi de miser sur le scénario de cette autrice qui s’était fait un nom en tant que dramaturge. Un scénario très perso, inspirée de sa propre expérience : l’histoire, en trois temps et sur une période de 24 ans, du déménagement aux Etats-Unis d’une pré-ado coréenne, qui doit laisser à regret derrière elle le garçon qui fait battre son cœur. Devenue grande, new-yorkaise, écrivaine, et en couple avec un Américain, elle reprend contact avec cet amour qui n’a jamais vraiment quitté ses pensées, et va se demander en sa compagnie s’ils ne sont pas passés à côté de la grande histoire de leur vie.
Notre critique de Past LivesSociologiquement, Past Lives offre une sorte d’écho au récent Minari de Lee Isaac Chung, autre production A24, autre récit semi-autobiographique, qui racontait l’installation d’une famille d’immigrés coréens dans l’Arkansas rural des années 80. Mais là où Minari se conformait à des schémas finalement assez classiques de récit initiatique et de découverte de la terre promise américaine, Past Lives renouvelle brillamment certains clichés du film romantique, réinventant l’antédiluvien ménage à trois à l’ère des nouvelles masculinités, de la démystification du couple et de l’amour, et des conversations longues distances en visio avec connections Internet défaillantes et visages pixellisés.
De nombreux critiques ont souligné la probable influence sur le film de la trilogie des Before (Sunrise, Sunset, Midnight) de Richard Linklater. On peut aussi penser à In the mood for love, pour ce goût des secrets chuchotés et cette interrogation sur les occasions manquées. Dans le film, Celine Song cite Eternal Sunshine of the Spotless Mind, autre film d’amour égaré dans les méandres temporels et les regrets. Pour le prochain, intitulé The Materialists et de nouveau produit par A24, elle dit vouloir s’inspirer du cinéma de James L. Brooks. Brooks, qui, soit dit en passant, fait partie de la short list des réalisateurs dont le tout premier long-métrage (en l’occurrence, Tendres Passions, en 1983) a remporté l’oscar du meilleur film… Pour Celine Song, l’espoir de rejoindre ce club très fermé est aujourd’hui permis.
Past Lives – Nos vies d’avant, de Celine Song, avec Greta Lee, Teo Yoo, John Magaro… Actuellement au cinéma.
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