Bref, une série qui a fait des petits : Bloqués, Serge le Mytho, Un bon moment, Cher journal...

La saison 2 marque l'aboutissement d'une décennie de collaborations fructueuses entre Kyan Khojandi et Navo (Bruno Muschio). Tour d'horizon de l'héritage de Bref.

L'arrivée par surprise de la nouvelle saison de Bref, sur Disney+ et non plus Canal+, et en six épisodes d'une trentaine de minutes contre 82 pastilles très courtes, a créé l'événement. Depuis le 14 février, la série de Kyan Khojandi, Navo et du producteur Harry Tordjman reçoit d'excellentes critiques, tant elle joue avec son aînée diffusée en 2011/2012. Retrouvant les mêmes personnages une décennie plus tard pour décortiquer la vie des quarantenaires, elle développe plus profondément ses thématiques, fait évoluer ses protagonistes, touche autant les spectateurs qu'elle nous amuse... Ou comme nous le confie Kyan dans le nouveau numéro de Première (n°559, avec David Lynch en couverture) : "Il y avait déjà des germes de mélancolie dans la première saison de Bref. On est peut-être allés un peu plus loin..."

L'autre qualité de cette suite, c'est que même si elle est assez différente de son aînée, elle donne envie de (re)voir l'intégrale. Et ses projets dérivés.

Bref, c'est une série phénomène

D'abord conçue pour 40 épisodes, Bref a connu un énorme succès dès son lancement, en septembre 2011, à raison de trois diffusions par semaine, en clair sur la chaîne cryptée. Notamment grâce à Facebook, le réseau social le plus à la mode à cette période : sa page officielle y a atteint à une vitesse record le million d'abonnés. Très vite, Canal a commandé le double d'épisodes, voyant le public réagir énormément sur le web, mais aussi dans les discussions du quotidien ou dans la presse. Impossible à ce moment-là de parler entre potes sans reprendre la fameuse tournure : "Elle m'a regardé, j'l'ai regardé... bref (insérer une situation de la vie quotidienne)." Pour autant la série n'a pas forcément été suivie de bout en bout par les téléspectateurs. Tout le monde en avait vu des bouts, oui, lors du Grand Journal ou en rediffusions sur le web, mais l'heure n'était pas encore au "binge-watching" et l'on n'avait pas forcément perçu toutes les subtilités de cette shortcom qui n'a cessé d'évoluer.

"Bref a toujours été pensé comme un programme court qui peut aussi se regarder d'une traite, nous raconte Khojandi. Une pastille à voir n'importe quand et qui est aussi à même de former une véritable histoire avec des personnages qui le suivent."

Bref a évolué
Comme s'ils réagissaient aux critiques du public en direct – car il y en a eu, à propos du côté trop égocentré de son protagoniste, "Je", ou de ses multiples gags lourds, sur la masturbation, par exemple - Kyan et Navo avaient déjà commencé à approfondir leur concept. Pas autant que dans la nouvelle saison, qui multiplie les métaphores scénaristiques et visuelles pour retranscrire les états d'esprit de tous ses personnages en parodiant des publicités, des séries de SF, avec des effets "maison de poupée", etc., mais tout de même : dès le début apparaissent Jamais ou Demain, des personnages-concepts qui aident "Je" à procrastiner, et après avoir posé les bases durant une vingtaine de courtes histoires, ses créateurs ont pris des libertés avec leur propre concept en proposant régulièrement de nouvelles idées.

Le n°24 est par exemple un rêve, raconté en voix-off par Bruce Willis (enfin son doubleur français, Patrick Poivey) ; le 28 est un décryptage de photo de soirée entre amis, idée qui sera approfondie avec un cliché de mariage dans la saison 2 en rentrant dans l'image ; l'équipe a reconstruit une fausse rame de métro pour le n°41, faute d'un accord de la RATP ; Bref. Je suis vieille suit une dame âgée (Françoise Bertin) et son compagnon La Solitude (Yacine Belhousse) ; le 53, Y a des gens qui m'énervent, est bourré de guest stars, de Michel Galabru à Alexandre Astier en passant par Florence Foresti et Chantal Lauby, tous dans leurs propres rôles ; l'épisode 60 raconte une histoire déjà connue, mais du point de vue de Marla (Bérangère Krief)... Sans compter les multiples retours dans le passé, souvent émouvants, qui seront encore plus nombreux par la suite.

Pour en voir plus sur les coulisses de fabrication de Bref, on vous conseille son making-of, qui était un bonus caché sur l'édition DVD de la série, sortie en 2012, et qui illustre bien les ambitions de son trio de créateurs, toujours en quête de bonnes idées à mettre en scène de façon ludique : 

Bref a vu naître des stars de la comédie

Près de 14 ans après son succès phénoménal, ce qui frappe en revoyant Bref en 2025, c'est aussi son casting très populaires. Il y a bien sûr les guests cités plus haut, mais parmi ses vrais rôles, tous sont devenus célèbres, d'Alice David (Babysitting), à Baptiste Lecaplain (qui cartonne sur scène), en passant par Kheiron (passé à la réalisation avec Nous trois ou rien, en 2015) ou Bérangère Krief (Adopte un veuf). Depuis 2011, le moindre second rôle a connu du succès en solo, que ce soit en one (wo)man show, au cinéma ou dans des séries : Blanche Gardin en petite amie mal assortie à Ben, Alban Ivanov en lascar agressant "Je", Grégoire Ludig et David Marsais, dont le Palmashow commençait tout juste à bien marcher à l'époque, Adrien Ménielle du Floodcast, qui apparaît furtivement dans l'épisode final et écrit aujourd'hui pour Hot Ones, l'émission animée par Kyan Khojandi... Et il y a bien sûr Orelsan et Gringe, le duo musical des Casseurs Flowteurs, apparu dans Bref avant de lancer la série dérivée Bloqués, et Jonathan Cohen, le futur Serge le Mytho.

Zoom sur cinq programmes plus ou moins dérivés de Bref, qui "bouclent la boucle" dans cette saison 2.

Bloqués (2015-2016)

On ne vous spoilera pas ici la manière dont la filiation entre Bref et cette série dérivée est traitée dans sa saison 2, mais elle entérine bel et bien le lien entre les deux. Orelsan et Gringe n'ont pas bougé de leur canap' depuis le succès de leur propre show, en 2015 et 2016. Durant cette période, Canal + a diffusé, cette fois durant Le Petit Journal et toujours en clair, une nouvelle pastille courte humoristique : Bloqués, portée par les deux compères. Une série un peu plus longue (121 épisodes), qui a été co-écrite, co-produite et filmée par exactement le même trio. Orelsan et Gringe s'y auto-parodient, apparaissant en rappeurs glandeurs qui échangent de grandes idées en trainant dans leur appart' plutôt que de bosser. Le tout filmé en plan fixe.

Une bonne face B de leur film, Comment c'est loin, là aussi une fiction mais plus proche de leur propre histoire, sortie également en 2015. Près d'une décennie plus tard, Orelsan retrouvera le réalisateur de ce premier long, Christophe Offenstein, pour concevoir la série Montre jamais ça à personne, à partir des vidéos de jeunesse filmées par son frère, Clément Cotentin. Kyan et Navo y apparaissent forcément, tant Bloqués a marqué le parcours du duo.

Serge le Mytho (2016-2017)

Lui aussi revient dans la saison 2 de Bref, jamais avare en explication rocambolesques. Serge le Mytho faisait bien rire Orel et Gringe dans Bloqués, et il était déjà là dans Bref, en quelques sortes : dans la série d'origine, le personnage de Jonathan Cohen s'appelle Charles... qui pourrait en fait être le véritable prénom de Serge. 

C'est en tout cas ce qu'on comprend de l'épisode 29 de sa propre série, diffusée en juin 2017. C'était avant le carton plein de La Flamme, et Jonathan était déjà devenu une figure familière de Canal + grâce à ce show lui permettant d'improviser de longues tirades à propos de n'importe quel sujet : il est tour à tour le descendant de Louis XVI, une star du rap, un crush de Brad Pitt, l'inventeur d'une drogue ou d'un parc préhistorique... Egalement conçue par Kyan, Navo et Harry Trodjman, en plus de son acteur principal, la série a eu moins d'épisodes (une trentaine), mais ils étaient pour la plupart plus longs que Bref ou Bloqués, entre 3 et 8 minutes.

Cher journal (2020)

Anna Apter tient un rôle important dans la saison 2 de Bref : elle joue Anna, l'une des petites amies de "Je" qui va jouer un rôle crucial dans son changement de comportement. La comédienne connaît ses créateurs depuis quelque temps déjà, puisque ce sont bien Kyan et Navo qui ont produit sa propre shortcom, toujours pour Canal + : Cher journal (à voir aussi sur Instagram). Dont le concept est aussi simple qu'efficace : durant 34 épisodes d'une à quatre minutes, elle se livre à son journal intime, racontant ses malheurs de jeune femme "en colocation avec son chien et son ennui." Pour le coup, on ne peut pas parler véritablement de spin-of de Bref, puisqu'ils ne sont pas à l'écriture, la comédienne et scénariste ayant imaginé ses propres sketchs. Mais les deux univers sont bien liés, par exemple via la reprise d'une réplique phare de la première saison : "C'est ma soirée ou c'est pas ma soirée ?", prononcée par le même personnage, Maud (Maud Bettina-Marie).

Un bon moment (depuis 2020)

Là non plus, ce n'est pas vraiment un spin-off. Ce n'est même pas une série, d'ailleurs, mais vous allez comprendre : avec Bref saison 2, Kyan explique avoir voulu raconter la dépression en étant "sincère" au maximum. "Disons que c'est 50% de ma vie et 50% celle de Navo. Tout n'est pas véridique, mais on part toujours d'un fond de vérité", nous dit-il, avant d'approfondir :

"Dans la saison 1, le gars subissait et réagissait au monde extérieur. Il n’anticipait jamais ses problèmes. Il a passé dix ans dans la même boucle : une meuf, un taf, une rupture, une dépression. Il se dit qu’il est temps d’arrêter ça, de se poser, d’enquêter sur lui-même pour se rendre compte qu’il n’a jamais été vraiment heureux. C’est là qu’il comprend qu’il n’a jamais fait de choix et qu’il doit se prendre en main pour moins subir et commencer à vivre des choses plus sympas."

Expliquant avoir "un peu d'avance" sur son personnage, puisqu'il a entamé son propre travail sur soi dès 25 ans, et non 40, il nous précise : "Le premier pas pour aller mieux, c'est de commencer à écouter les autres, à se mettre à la place des autres. (…) Et quand on se trouve, on fait des choix et on devient créatif, sans être destructif..." Des propos qui illustrent à merveille le podcast lancé par Kyan et Navo au moment du confinement. Leurs invités, qui se confient sur leur vie, leur carrière, leur santé mentale... sont d'ailleurs presque tous apparus dans Bref !

Diffusé sur MyCanal et YouTube, ce podcast revient de façon plus ou moins régulière depuis 2020, et cet échange d'expériences a sans aucun doute nourri Bref 2. Ou comme le dit si bien Kyan : "En fait, ça fait six-sept ans qu'on compile des idées. On passe notre vie à faire ça."

Une bonne soirée (2022)

Ce spectacle, co-écrit par le duo et incarné par Kyan sur scène -et aujourd'hui visible via MyCanal, racontait comme son titre l'indique la meilleure soirée de sa vie. Et il se terminait par un gigantesque clin d'oeil à Bref, que ses créateurs évoquent ouvertement dans le commentaire audio de la toute fin de la série (disponible parmi ses bonus sur Disney+). Attention aux spoilers, si vous n'avez pas vu Bref 2 en entier.

"- Si vous avez vu le spectacle, là c'est un peu le Bref de fin", commente l'interprète de "Je" devant les cinq dernières minutes de la série.

"- Oui, on fait comme si on n'avait pas fini la copie double, renchérit Navo. On se dit : 'Si je répète tout, j'aurais fini ma copie double ?' (rires) J'aime beaucoup ce moment où le héros résume tout, même s'il n'est pas nécessaire. Il fait comme un 'previously' : 'Il s'est passé ci, il s'est passé ça...'"

"- Oui, mais tu connectes plus, je trouve. Ca donne un ton intéressant, le coupe Kyan.

"- C'est vrai, on a tendance à appuyer les choses, c'est notre style, conclut. On se répète... d'façon, ça s'est entendu dans nos commentaires ! (rires)"

Recycler ses meilleures idées d'un programme à l'autre, les faire évoluer au fil des changements de vie et de société... est-ce le secret de la réussite de Bref dans la durée ? On en reparlera certainement d'ici à la saison 3, que Kyan et Navo ne compte pas filmer tout de suite...