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Tout commence par une séquence de vingt minutes d’une incroyable intensité au terme de laquelle le titre apparaît en rouge sur fond noir. Un homme est paisiblement attablé dans un restaurant quand un autre survient et fait un scandale pour s’asseoir dans l’endroit bondé. L’homme tranquille lui cède sa place, non sans offenser le perturbateur par des paroles aussi blessantes que des coups de lame. Les deux antagonistes se retrouvent peu après dans la rue pour un affrontement fatal qui signe le début des emmerdes pour l’homme tranquille. Ce dernier, Claudio (formidable Dario Grandinetti) est avocat dans l’Argentine pré-dictatoriale de 1975. Un notable en apparence respectable, dont Benjamín Naishtat fait le symptôme des compromissions et de la duplicité de la classe dominante qui ont mené la junte au pouvoir. Claudio, comme ses congénères, méprise instinctivement le peuple, les rouges (« rojo », qui se réfère aussi au sang des futures victimes) ; il magouille sans l’ombre d’un scrupule, ou si peu ; ferme les yeux sur des disparitions inexpliquées, l’un des motifs récurrents et terriblement anxiogènes du film – un simple tour de magie se transforme en métaphore de l’atmosphère plombante de l’époque. Le tableau est sombre, traversé de ralentis ambigus qui disent à la fois la force et la fragilité du système. Après Historia del miedo, Naishtat confirme un formidable tempérament de conteur et de moraliste qui laisse le soin aux spectateurs d’apprécier les dérèglements subtils opérés dans ses récits mystérieux.