Relecture passionnante de Peter Pan ou conte new- age fatiguant ? Le nouveau Benh Zeitlin a divisé notre rédaction
POUR
Où était passé Benh Zeitlin ? Huit ans se sont écoulés depuis le triomphe des Bêtes du sud sauvage et le temps commençait à paraître long. Renseignements pris, il était simplement occupé à peaufiner cette relecture de Peter Pan, un projet plus gros, en termes de budget, que le précédent, mais dans son exacte continuité esthétique. Car il y avait en effet déjà pas mal de Peter Pan dans Les Bêtes…, film à hauteur d’enfant, portrait d’une communauté hors du monde traversé d’éclats de magie. Wendy s’empare de la fable imaginée par J.M. Barrie pour lui donner un souffle féministe (le personnage de Wendy Darling ayant été, selon Zentlin, systématiquement maltraité par les différentes versions de l’histoire) et inventer un Neverland inédit (shooté sur une île des Antilles), extraordinairement « vrai », vivant, rocailleux et organique, refusant farouchement les CGI sans âme et la féérie de pacotille. Wendy, une petite fille de la Nouvelle-Orléans, se retrouve dans un endroit magique où vit une tribu d’enfants perdus…
Vous connaissez l’histoire, mais vous ne l’avez jamais vue comme ça. Il y a quelque chose de passionnant à voir débarquer Wendy quelques mois après le Pinocchio de Matteo Garrone, qui travaillait à arracher l’imaginaire de Collodi à Hollywood pour le ramener en Italie, et lui redonner une dimension sensible, tactile. Comme si des cinéastes, éparpillés aux quatre coins de la planète, de Rome à la Louisiane, menaient soudain une fronde contre la disney-isation galopante des imaginaires. Il y a des scories dans Wendy, la friction qu’y cherche Benh Zentlin entre âpreté du réel et envol spirituel est un exercice funambule, qui empêche parfois son lyrisme de se déployer pleinement. Mais il y confirme néanmoins son statut d’inventeur de mondes magnifiques. On a hâte de continuer à le regarder grandir.
Frédéric Foubert
CONTRE
Les bêtes du Sud sauvage porté par son élan fantastico-écolo apocalyptique avait bluffé son monde au-delà du raisonnable obtenant le golden package (Premiers prix à Sundance, Cannes et Deauville) La raison aurait en effet incité à plus de prudence, tant la mise en scène chiadée de Benh Zeitlin, sous prétexte du récit à hauteur d’enfant, versait abondement dans un trop plein émotionnel un poil suspect, tics malickiens en prime.
En huit ans, on n’a pourtant pas oublié le visage poupin de Hushpuppy Doucet et le nom du prometteur Zeitlin (30 ans seulement à l’époque des faits). Voici venu Wendy et ses promesses de maturité. Le voyage qui l’emmène jusqu’à nous rutile un peu moins (aucun trophée majeur dans sa besace). Si la caméra mobile et agitée continue son travail d’enrobage physique, la magie opère moins. Dès les premiers instants le sentiment de claustration pourtant synchrone avec les envies d’ailleurs d’une jeune héroïne prisonnière d’un quotidien sans perspective, agace plus qu’il ne suscite l’empathie recherchée. Le récit semble effet étouffé dans l’œuf et le voyage de l’héroïne vers une île où ses rêves d’émancipation sont très vite menacés, paraît de fait chiche en promesses d’ouverture. Ces doutes originels ne seront jamais démentis. Le film fabriqué et surjoué, se replie très vite sur lui-même vautré dans les certitudes d’un auteur écrasé d’influences. Zeitlin propose un patchwork de références où Peter Pan croiserait Sa majesté des mouches et certaines extravagances de Terry Gilliam. Au milieu de ce capharnaüm trop lisible, on finit par se demander où est la place du cinéaste. Et lorsque des émotions parviennent enfin à s’extirper du récit, le ton frise la sensiblerie et se dilue dans le magma informe de ce conte new-age fatigant. Pour la suite, Benh Zeitlin devrait aspirer à plus de simplicité et essayer, à l’instar de sa Wendy, de se libérer davantage.
Thomas Baurez
De Benh Zeitlin. Avec Devin France, Yashua Mack, Gage et Gavin Naquin… Durée 1h51. Sortie le 23 juin 2021
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