Quatre ans après avoir aperçu Jack Bauer pour la dernière fois (douze du point de vue de l'histoire), l'agent renégat bouge encore. Jack Bauer et 24, une histoire qui dure et qui remonte au printemps 2001. Elle est le commencement de la fin d'un autre show d'espionnage fédérateur. Le 4 mars, USA Network diffuse le dernier épisode de La femme Nikita. La série, adaptée du Nikita de Luc Besson, aura perduré cinq saisons de 22 épisodes, avant d'être annulée par la chaîne qui voyait chuter ses recettes publicitaires. Depuis quelques mois, il est acté qu'elle ne sera pas renouvelée. Elle a même obtenu un sursis grâce aux courriers de fans envoyés en masse au siège de la chaîne. L'un de ses pères, Joel Surnow, vient de terminer l'écriture de la saison 2 de la série parodique Special Unit 2 et cherche un nouveau projet. Et comme l'inspiration vient souvent au moment où on ne l'attend pas et dans les endroits les plus incongrus, c'est dans sa salle de bains que Surnow est frappé d'un éclair de génie qui va révolutionner le paysage sériel.
Ennuyé de devoir se cantonner au carcan des 22 épisodes réglementaires à une saison, il réfléchit à casser les codes. Au lieu de faire plus court, pourquoi ne passerait-il pas à 24 épisodes d'une heure chacun, de sorte à couvrir une journée complète du point de vue de l'histoire ? Il appelle son comparse de l'époque, Robert Cochran, producteur exécutif de La femme Nikita, qui se montre plutôt rétif. Raconter une saison en une journée ? Impossible ! Et pour dire quoi ? « Si le temps devient l'élément clé de la série, il fallait que ce soit une course contre le temps» : Surnow n'en démord pas et réfléchit aux possibilités narratives. La lutte contre le terrorisme était loin d'être leur idée de départ. Pour coller au concept, la première chose qui leur vient à l'esprit est le récit des préparatifs d'un mariage façon Lune de miel aux orties, une comédie nuptiale avec Diane Keaton. Mais pourquoi les personnages resteraient debout pendant tout ce temps pour un mariage ? Où trouver la tension dramatique nécessaire sur vingt-quatre heures ?
Dans une série traditionnelle, raconter une histoire reste relativement malléable, grâce aux césures temporelles permises par les fondus au noir ou simplement le passage d'une scène à l'autre. Dans 24, c'était différent. « Ça n'a pas été simple » expliquait Cochran en 2006. « Vous mettez un type dans un avion Los Angeles-New York, dans n'importe quel autre film ou série il peut y être rendu la scène suivante. Dans notre série, le type allait devoir passer cinq épisodes dans l'avion : si vous optez pour cette approche, vous devez lui trouver de quoi s'occuper et ce n'est pas chose facile. Il a fallu développer de multiples storylines ». Et ce d'autant plus que celles-ci se consument à une vitesse folle. David Palmer, le candidat à la présidentielle, hérite alors d'une intrigue qui lui est propre, les malheurs de Kim Bauer sont racontés en long, en large et en travers, et la femme de Jack, Teri, est jetée dans la bataille... toutes les péripéties vécues par ces personnages s'interconnectant avec plus ou moins de réussite selon les saisons (on se souvient de Kim dans la saison 2). Visuellement, le temps se rappelle au spectateur par une apparition ponctuelle de l'heure en cours, suggérant un hommage à Cléo, de 5 à 7 d'Agnès Varda où les horloges rythment l'action circonscrite à 90 minutes. Testés pour illustrer les conversations téléphoniques, les split-screens s'imposent finalement comme un gimmick capable de dévoiler la situation de plusieurs personnages en parallèle. Autant d'éléments qui achèvent de convaincre la Fox qui signe pour 13 épisodes (elle commandera les sept autres plus tard, convaincue du succès de la série).
A la fin de la première saison, l'équipe de production et les executives de la Fox se creusent la tête. Est-ce que la série peut aller au-delà d'une saison ? Faut-il changer de personnage ? Un script, depuis tombé aux oubliettes, est même écrit par Surnow, à la demande de la Fox, pour faire revenir Jack Bauer dans un téléfilm, oubliant au passage la règle du temps réel. La puissance émotionnelle du final de la première saison va permettre de sceller le destin de l'agent fédéral le plus malchanceux de la planète avec les sériephiles. L'avenir démontrera que le personnage est désormais indissociable de la série, pour le meilleur et pour le pire, la série ayant depuis écumé dans les grandes largeurs tous les complots possibles et imaginables, se renouvelant sporadiquement après les trois premières saisons. Surnow a quitté la série après la sixième journée infernale de son héros. Il est remplacé dans ses fonctions de showrunner par Howard Gordon, scénariste des aventures de Jack Bauer depuis le début. Bob Cochran, qui s'était tenu à l'écart de la saison 8, ne va pas rester loin bien longtemps. Car 24 promet de nouveau le frisson.
Nous sommes en janvier 2001 quand la série atterrit dans les grilles de programmes de la Fox et la promo débute pour une diffusion annoncée entre septembre et octobre 2001. Jusqu'à ce qu'arrive le 11 septembre. En mettant en scène des attentats terroristes, la série avait toutes les raisons d'être annulée. D'autant que le premier épisode montrait, au détour d'une scène, l'explosion d'un avion de ligne. La scène de l'explosion est finalement recadrée pour atténuer ses effets spectaculaires et la diffusion de la série est repoussée au moins de novembre. Le 6 du mois, le chrono retentit pour la première fois sous les yeux de millions de téléspectateurs. A l'époque, les chaînes évitent à tout prix de programmer des dramas pour ne pas faire replonger une opinion déjà traumatisée par les événements. Contre toute attente, le 11 septembre va faire de Jack Bauer un symbole, le dernier rempart contre le terrorisme, le type normal qui lutte pour protéger les siens dans une administration vérolée à tous les étages. Chaque semaine, la série aura rassemblé 8 millions de spectateurs en moyenne. Ils seront près de 3 millions de plus pour la suivante... qui n'était pas gagnée.
Le duo se pose alors une question. « Qu'est-ce qui pourrait bien arriver d'horrible dans une journée et qui nécessiterait que l'on reste alerte pendant tout ce temps ? Vous apprenez que le Président va être assassiné et vous êtes l'agent fédéral qui sera chargé d'empêcher ça. ». Tout ça dans la même journée. Les deux hommes viennent de jeter les bases de la première saison. Rapidement, l'idée d'ébranler la vie personnelle de l'agent en question est mise sur la table, en organisant le kidnapping de sa propre fille. Cet agent fédéral, c'est Jack Bauer. Le film franco-britannique Chacal s'impose au duo au moment d'imaginer l'intrigue et le personnage de Bauer se donne des airs de John McLane. Dans les premières versions du script, Bauer ressemble d'ailleurs beaucoup plus au héros de Die Hard. Un vieux routard à la vanne facile à qui on ne la fait pas. Mais Jack Bauer n'a pas encore les traits de l'acteur Kiefer Sutherland et lorsque celui-ci décrochera le rôle, le scénario sera modifié pour coller davantage à sa personne et au ton très premier degré de son interprétation qui sert finalement la série à sa juste valeur.
Après la saison 8 et un projet de film longtemps entretenu par Sutherland à grand coup de déclarations un peu trop optimistes dans la presse (un cross-over entre Jack Bauer et... John McLane a même été évoqué), 24 fera finalement son retour sur la Fox (et sur Canal Plus) le 5 mai prochain. Et Bauer se lancera pour une énième fois à la poursuite des bad guys de la pire espèce, dans une saison 9 qui n'aura hérité que de 12 épisodes, en étant censée durer vingt-quatre heures du point de vue des personnages. Un parti-pris obligeant à adapter le concept de temps réel en se permettant des ellipses (et en offrant enfin la possibilité à Jack Bauer d'aller se soulager ou de manger un morceau entre ses heures de travail). D'après les premières images, on retrouvera Jack à Londres où il devrait vraisemblablement sortir de clandestinité pour déjouer un complot contre le président des États-Unis (désormais représenté sous les traits de William Devane alias James Heller, le secrétaire d'Etat à la défense avec qui Jack a eu maille à partir). Il croisera la route de Chloé, fidèle sidekick depuis la saison 3, mais entre les deux alliés d'hier, un fossé semble bien s'être creusé. Du réchauffé ? Les reliefs de l'intrigue paraissent bien connus des amateurs de la série et à l'heure de ce retour inattendu, les scénaristes ont l'air de jouer la sécurité. A moins que... Cacher son jeu est une des petites spécialités de la série.Jonathan Blanchet
A l'époque, plusieurs dizaines d'acteurs auditionnent pour incarner l'anti-héros et la légende veut que les producteurs lui préfèrent d'abord Roy Dupuis, pilier des quatre premières saisons de La femme Nikita, pour incarner l'agent fédéral. Reconnu dans des rôles de personnages troubles comme dans Génération perdue ou Dark City, le fils de Donald Sutherland n'a jamais vraiment fait de série avant qu'on lui propose le rôle principal de 24, mais reçoit le script par l'intermédiaire de Stephen Hopkins, réalisateur de Predator 2 et novice du petit écran, comme lui, avant qu'il ne finisse par mettre en boîte la quasi-totalité de la première saison. Il signe de suite sans s'imaginer une seconde le succès qui suivra. Dans leur quête d'un diffuseur, Surnow et Cochran ont d'abord approché FX, la chaîne câblée de la Fox, qui refuse, convaincue que le projet sera un gouffre financier. Du côté de la Fox même, le duo a quelques soutiens et celle-ci accepte de produire un pilote. Un signe de confiance qui n'est pas une gageure dans une industrie où une centaine de pilotes sont produits chaque année, et où une poignée d'entre eux seulement sont signés pour devenir une série. D'ailleurs, dans sa vie de showrunner, Cochran n'a jamais passé l'étape du pilote... et rapidement se pose le casse-tête du temps réel, à respecter pendant toute la saison.
Le 5 mai, soit dans moins d'une semaine, la Fox relancera la série 24 heures chrono avec la saison 9 intitulée Live another day que l'on croyait morte et enterrée. En redonnant du boulot à l'inoxydable Jack Bauer. Mais au fait, comment est née 24 ? Symbole de l'après-11 septembre, dévolue toute entière à son personnage principal, il n'y était pourtant pas vraiment question de course contre le terrorisme ni de Jack Bauer au départ. Récit illustré de toutes les photos !
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