Rencontre avec le réalisateur suisse, qui revisite la tragédie des J.O. de 1972 dans un thriller journalistique captivant.
Sans doute parce qu’elle fut un événement éminemment médiatique, retransmis en direct à la télé et suivie par des millions de spectateurs à travers le monde, la tragédie des Jeux Olympiques de Munich 1972 – la prise d’otages et l’assassinat d’athlètes israéliens par un commando terroriste palestinien – a toujours passionné le cinéma, du Munich de Steven Spielberg au documentaire oscarisé Un jour en septembre, de Kevin Macdonald. Dans son film 5 septembre, le Suisse Tim Fehlbaum identifie la couverture médiatique du massacre de Munich comme l’acte de naissance de l’info en continu, l’ouverture d’une boîte de Pandore qui contribua à façonner le monde gavé d’images dans lequel nous vivons aujourd’hui. Rencontre avec un cinéaste qui s’était jusqu’ici illustré dans la SF post-apo (Hell, La Colonie), nommé cette année à l’Oscar du meilleur scénario.
Première : La tragédie du 5 septembre 1972 a déjà abondamment été traitée au cinéma. Comment en êtes-vous venu à vouloir la raconter à travers le point de vue très précis de l’équipe télé d’ABC Sport, qui l’a couverte en direct ?
Tim Fehlbaum : La réponse est un peu dans votre question : justement parce que c’était un point de vue très précis. J’étais bien sûr familier des films qui m’avaient précédé, en particulier le documentaire de Kevin Macdonald, qui est l’une des influences majeures de 5 septembre. Je l’ai découvert au cinéma, à l’adolescence, et, d’une certaine manière, il ne m’a jamais quitté. En tant que réalisateur, je me suis en effet posé la question : qu’est-ce qui n’a pas encore été raconté sur cette histoire ? Le point de vue des médias n’avait pas encore été totalement décortiqué à mon sens, et ça me paraissait d’autant plus pertinent de se pencher sur cette question aujourd’hui. Nos recherches sur le sujet nous ont conduit jusqu’à Geoffrey Mason, le personnage joué par John Magaro dans le film, qui nous a raconté ce que ça avait signifié, pour lui et les équipes d’ABC Sport, de passer sans crier gare d’une émission sur les Jeux Olympiques à la couverture live d’une crise politique de première importance. Son témoignage a été capital dans la construction de notre film.
Vous dites que cette histoire ne vous a jamais quitté…
D’autant moins que j’ai fait mes études de cinéma à Munich. Où l’ancien village olympique a été en partie reconverti en complexe de logements étudiants. J’ai donc passé pas mal de temps là-bas. Les apprentis cinéastes de la ville ont l’habitude d’y tourner leurs premiers courts-métrages, car l’architecture y est très intéressante. Nous étions bien sûr tous conscients que c’était l’endroit où la tragédie avait eu lieu, que tel balcon était celui qu’on voit sur la célèbre photo du terroriste portant une cagoule… Mais ce n’est qu’après mon film précédent, La Colonie, que je me suis enfin senti capable de me confronter à ce sujet.
La thèse de votre film, c’est que l’idée de l’info en continu est née à Munich le 5 septembre 72. On vous sent totalement passionné par la fabrique analogique des images…
C’est vrai qu’il y a une vraie attention aux détails concrets de la fabrication des images dans 5 septembre. Mais ce n’est pas un gimmick visuel, ni le signe d’une fascination rétro-maniaque, c’est un élément clé pour traiter l’un des sujets du film : la façon dont la technologie influence la production d’informations, donc la manière dont nous regardons le monde. Aujourd’hui, nous pouvons créer des images instantanément avec nos téléphones, et les partager tout aussi instantanément avec le reste du monde. A l’époque, il fallait réserver un créneau sur le réseau satellitaire… L’idée était de faire comprendre et ressentir au public contemporain la fabrication concrète de l’information. "Le médium est le message", disait Marshall McLuhan. Cette idée est au cœur de notre film.
Votre film est très factuel, très concret, les personnages avancent sans se retourner, et vous laissez le spectateur répondre lui-même aux grandes questions que vous posez en sortant de la salle…
Exactement. Et ce pour deux raisons. La première, c’est que je ne connais pas moi-même les réponses à toutes les questions que pose le film. Ce sont de vrais dilemmes. La deuxième raison, c’est que Geoffrey Mason lui-même ne pouvait pas y répondre ce jour-là. Les événements s’enchaînaient et le temps était compté.
Peu de temps après Un jour en septembre, Kevin Macdonald a réalisé le film State of Play, qui est l’une des références du thriller journalistique moderne, genre auquel appartient 5 septembre…
Croyez-le ou non, j’ai revu State of Play il y a deux jours ! Et j’ai enfin pu rencontrer Kevin Macdonald, à qui j’avais écrit pour lui dire que je préparais 5 septembre et que son documentaire était une immense source d’inspiration pour moi. Vous avez raison : mon film s’inscrit complètement dans cette veine du thriller journalistique à la State of Play. Ceci dit, je trouve que ce qu’il y a de vraiment neuf et original dans 5 septembre, c’est que ce sont des reporters sportifs qui se retrouvent à couvrir cette crise. Quelques heures plus tôt, ils filmaient le nageur Mark Spitz en train de recevoir sa septième médaille d’or… A mes yeux, ça donne sa singularité au film, ça le distingue au sein de cette longue tradition du newroom drama.
5 septembre, de Tim Fehlbaum, avec John Magaro, Peter Sarsgaard, Ben Chaplin… Actuellement au cinéma.
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