Guillaume Ribot réalise Je n’avais que le néant, un documentaire inédit grâce à des rushes non exploités du film sur les camps de la Seconde Guerre Mondiale.
Le mois dernier, France 2 ressortait l'œuvre unique et monumentale réalisée par Claude Lanzmann en 1985, à propos de l’extermination des Juifs orchestrée par les Nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Shoah reste encore aujourd'hui une référence dans le paysage cinématographique, avec ses 9h30 de film, regroupant plusieurs témoignages directs de victimes et de bourreaux, qu’il rencontre dès 1973.
Ce geste opéré par Lanzmann est totalement précurseur. S’il existe aujourd'hui un certain nombre d'œuvres cinématographiques sur le sujet (La Liste de Schindler, Le Fils de Saul, La Zone d'intérêt, …), il est le tout premier à engager un tel travail sur cette partie obscure de l’histoire, délibérément enterrée.
"Shoah est une expérience douloureuse, mais qu’il faut vivre"Pour obtenir ce résultat, il a fallu à Claude Lanzmann douze années de “course contre la mort”. Les témoins étant déjà âgés, il fallait à tout prix recueillir leur histoire avant que celle-ci ne s’efface. Les coulisses de ce travail de longue haleine est mis en avant par Guillaume Ribot dans Je n’avais que le néant - Shoah par Lanzmann, présenté hors compétition à la Berlinale. Le réalisateur et photographe français est déjà l'auteur d'un documentaire sur l'extermination menée par le régime nazi : Vie et destin du Livre noir, la destruction des Juifs d'URSS.
Guillaume Ribot s’appuie sur les 220 heures de rushes non exploités dans le montage final de Shoah, conservés à l’United States Holocaust Museum de Washington. Produit notamment par Dominique Lanzmann (veuve de l’auteur depuis sa mort en 2018), Je n’avais que le néant permet de retracer la production de cette œuvre majeure et ses secrets de création.
Pourquoi il faut (re)voir ShoahLe cinéaste s’est également servi de l’ouvrage autobiographique de Lanzmann publié en 2009 chez Gallimard, Le Lièvre de Patagonie, où il raconte en partie l’épopée de son tournage. Des extraits sont lus en voix-off par Ribot, comme cette phrase qui donne à la fois le titre au documentaire et qui en constitue l’ouverture : “Je voulais filmer, mais je n’avais que le néant”.
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Dans un entretien pour Trois Couleurs, Guillaume Ribot revient sur ses intentions :
“J’ai tout de suite senti une trame narrative dans ce texte, qui dévoilait aussi l’intimité d’un cinéaste lancé à corps perdu dans une quête longue et difficile, un cinéaste pétri de doutes et de questionnements face à une tâche monumentale [...] Je savais ce que je voulais : montrer l’avant Shoah.”
Ce documentaire, filmé un peu à la manière d’un policier, respecte certains choix esthétiques de Lanzmann : tout comme dans Shoah, on ne trouve aucune musique additionnelle, ni aucune image d’archive. En revanche, la voix-off constitue une grande différence entre les deux œuvres.
En regardant ces images non-utilisées, Guillaume Ribot s'est rendu compte que plusieurs moments ont été délibérément mis en scène par Claude Lanzmann, brouillant ainsi la barrière entre documentaire et fiction. Par exemple, la longue séquence ferroviaire - servant d’affiche au film - a été voulu par l'écrivain, qui a convaincu un ancien cheminot polonais de conduire la même locomotive ayant été utilisée pour déporter les Juifs vers les camps de concentration. Mais comme il l’a lui-même écrit : “l’acte de transmettre est tout ce qui compte”.
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De même, la séquence avec Abraham Bomba, un coiffeur contraint par les SS de couper les cheveux des femmes avant leur passage dans les chambres à gaz, n’a rien de spontané, contrairement à ce qu’on pourrait croire. “Lanzmann fait surgir la parole par la reproduction du geste et advenir la vérité par la mise en scène”, souligne Guillaume Ribot.
Je n’avais que le néant - Shoah par Lanzmann montre la force que continue d’avoir, même quarante ans après sa sortie, ce monument du cinéma. Le film devrait être prochainement disponible sur Arte.
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