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Faut-il d’abord parler du courage qu’a eu Lou Ye de réaliser ce film contre la censure ou de la grâce de ce dernier ? Faut-il évoquer en premier lieu le sujet « sulfureux » de Nuits d’ivresse printanière, sa démarche politique ou sa réussite artistique ? Difficile de trancher tant ces éléments sont inextricablement liés. La beauté de la nouvelle oeuvre de l’auteur de Suzhou River, sa richesse formelle, son sens de la ville nocturne et de l’intimité presque murmurée tiennent en effet largement à ses conditions de tournage. Ces images volées, pressées, arrachées à la nuit où le pouvoir chinois aurait voulu les maintenir, font de Nuits d’ivresse... un film clandestin sur des amours clandestines car homosexuelles. Mais ce contexte oppressant et essentiel ne saurait pour autant expliquer à lui seul les choix
esthétiques et narratifs d’un cinéaste cinéphile.
Toutes les critiques de Nuits d'ivresse printanière
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
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Tourné sous le manteau, Nuits d'ivresse printanière n'a pas reçu l'accueil qu'il méritait à Cannes, en dépit d'un Prix du scénario. On peut voir le film comme une histoire homosexuelle à trois, mais aussi comme une oeuvre sur les fantômes et la jalousie qu'ils provoquent. On se souvient d'images aux lumières saturées, de magnifiques plans pris aux aurores.
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Saisissant les élans du cœur comme une grande parade mortuaire, Nuits d'ivresse printanière laisse un goût de cendres à chacun de ses plans (les étreintes dans la cabane au milieu des bois, les petits matins blafards, la séquence de séparation sur une autoroute). Le film brille surtout dans sa manière de s'emparer d'un tabou (l'homosexualité dans la Chine d'aujourd'hui) en le désamorçant au profit d'un mélo aux puissantes lames de fond : ce marivaudage funèbre, cette façon de tisser la métaphore d'une hypothétique libération sexuelle avec celle, froide et désespérée, de l'économie de marché qui régit le pays sont autant de manières de renvoyer les personnage à leur insularité tragique (la scène de marche dans les bois, au début). Lors d'une scène de réveil, la caméra s'aventure en un mouvement inquiet vers l'extérieur, et le son s'épaissit dans une sorte de chaos murmuré (on se croirait alors chez Tsui Hark ou Grandrieux) : c'est dans ce genre d'instants que le naturalisme impressionniste parfois un peu facile de Lou trouve, sinon le pressentiment d'un obscur désastre ne disant pas son nom, la plus parfaite adéquation avec le désarroi de ses conditions mêmes d'existence.
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Lou Ye délaisse alors la sociologie sous le manteau pour retrouver l'essence de son art, entre mélo et road-movie, brûlot charnel et dérive antonionienne. Au premier plan, soudain: l'auteur des photos volées, le voyeur patenté, qui s'éprend de Jiang Chen). Mais aussi la copine de ce nouvel amant surprise, ouvrière dans une usine de contrefaçons qui ferme -la Chine passe aux vraies marques... Un précaire ménage à trois se forme, aussitôt sur la route: les Jules, Jim et Catherine d'une Chine trop grande et dépersonnalisante. Le film capte les sensations fugaces d'une balade sans horizon entre amoureux désaccordés, l'errance du désir, le sentiment d'incomplétude et d'égarement qui rattrape le trio.
Encore une ellipse plus loin, et à coups de fragments sublimes d'un texte datant de 1923 (attribués à un certain Yu Dafu), le cinéaste donne à cette histoire impressionniste la netteté d'une quête universelle: quête de l'autre, mais aussi de soi et d'une place dans le monde. Autant dire que l'issue est provisoire, exaltée par un magnifique épilogue mi-triste mi-serein, où les nuits printanières s'éloignent, mais pas l'ivresse du cinéma.
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Par le biais d’une mise en scène à la fois intimiste, farouche, pudique et rageuse, il capte la clandestinité de ces liaisons et l’impétueux du désir qui les innerve. Saisissant à la volée, dans son expression la plus bouleversante, l’incommensurable douleur des amours perdues à jamais.
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Banni pour cinq ans après Une jeunesse chinoise, qui abordait les événements de Tiananmen, Lou Ye a rompu toutes relations avec les autorités de son pays, tourne en douce et ne s'en porte pas plus mal. Il aime le mouvement, les corps et les regards plus que les mots et la psychologie, il sait saisir une scène mais se regarde parfois trop filmer, pris dans une euphorie libératrice alors que le sujet nécessiterait une plus grande densité dramatique. Il y a cependant des moments magnifiques.
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Privé de financement et de distribution par les autorités de son pays, Lou Ye («Une jeunesse chinoise») signe un film courageux dans sa fabrication, fiévreux dans sa forme, avec un dénouement bouleversant.
Lointain cousin du « Jules et Jim », de Truffaut, « Nuits d’ivresse printanière » est un drame passionnel torride, servi par des acteurs inspirés et récompensé par le Prix du scénario au dernier Festival de Cannes. -
Tourné sans autorisation, en images numériques, Nuits d'ivresse printanière conserve la force documentaire commune à nombre de films chinois du moment. On circule de restaurants minables en boîtes de travestis, de clubs électro en magasins de mode. Mais ce monde reste un peu vide. La violence des événements qui frappent les personnages n'empêche pas une certaine atonie générale. Tous les sentiments et les mouvements sont comme assourdis. Il aurait peut-être fallu ralentir un peu le rythme, laisser les images s'épanouir, au lieu de se contraindre à un mouvement perpétuel. Arrive un moment où les crises à répétition qui affectent ces jeunes gens désemparés laissent indifférent.
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Avec Nuit d’ivresse printanière, présenté insolemment à Cannes en mai 2009, le cinéaste signe une œuvre trouble et érotique, qui aborde, fait remarquable pour un film chinois, le thème de l’homosexualité. Une nouvelle provocation à l’égard des autorités chinoises ? En tout cas, les corps déshabillés dans l’étreinte et le feu ardent de la passion dévorent l’écran. Avec un sens exquis de la mise en scène, qui empreinte au documentaire à l’image vacillante et à l’exercice de style esthétique, l’auteur n’est pas là pour s’embarrasser de ses choix de réalisation. Son intérêt se focalise sur l’éternel triangle amoureux, source de frustration, de jalousie et de colère. La femme, l’époux infidèle et l’amant se déchirent en beauté sous la caméra bienveillante de Lou Ye, qui ne se pose pas en donneur de leçon. Au contraire, il complique la donne avec quelques variations sur le thème de l’attraction physique.
De notre côté, l’attrait visuel et l’indéniable parfum de scandale passés, l’on se retrouve vite à s’ennuyer. Trop abscons dans son approche des personnages et étiré inutilement, le récit ne se laisse jamais dompter et déconcerte. Il aurait gagné à être davantage resserré, surtout après l’écho cannois un peu tiède qui était déjà le signe d’une déception mesurée. Au final, ces nuits d’ivresse printanière ne sont pas désagréables, mais qu’est-ce qu’elles sont longues à passer...