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En ces temps de récapitulatif pré-nouvel an, où l’on écume tous les tops possibles et imaginables de l’année qui se termine, il est un top qui reste un peu confidentiel : celui des metteurs en scène à l’affiche à la rentrée théâtrale 2010. On s’explique en quelques chiffres. Jean-Luc Moreau : 5 mises en scène, Christophe Lidon quatre, Didier Long, Zabou Breitman, Hans Peter Cloos et Jean-Luc Revol : 2. De quoi s’agit-il ? De metteurs en scène qui carburent, bénéficient des faveurs du théâtre privé et se retrouvent avec non pas une, mais plusieurs mises en scène à l’affiche en même temps. Certes, si pour certains, monter un spectacle n’est pas une sinécure, faute de moyens de production, on se demande si pour d’autres, avoir plusieurs spectacles à l’affiche n’est pas également problématique. Comment gère-t-on plusieurs mises en scène en simultanée ? Comment reste-t-on inspiré dans le cadre d’une productivité à plein régime ? Au premier rang de notre top : Jean-Luc Moreau, dont la rentrée 2010 a été un jackpot phénoménal avec à l’affiche, C’est pas le moment, A deux lits du délit, Stand-up, Le Technicien et Le Dîner de cons. Sans compter qu’il est actuellement en tournée avec L’Illusion conjugale, spectacle qu’il a non seulement monté mais dans lequel, en plus, il joue. Et ce n’est pas fini puisqu’il met en scène Une Journée Ordinaire (avec Alain Delon) dont les représentations commencent à la rentrée de janvier 2011. Mais comment fait-il ? Y a-t-il plusieurs Jean-Luc Moreau comme certains soupçonnent que Shakespeare aie eu un nègre ? Non, évidemment, nulle intrigue croustillante là-dessous mais seulement un homme de métier qui travaille beaucoup, s’entoure bien et… s’organise ! Car, à en croire les metteurs en scène que nous avons interrogé, le secret se trouve dans ce maître mot : s’organiser.Comme on le sait, la saison théâtrale est rythmée par deux temps fort : la rentrée de septembre et celle de janvier. Mais cela ne veut pas dire que le travail de mise en scène se condense uniquement sur deux périodes du calendrier. « C’est l’arbre qui cache la forêt », comme dit Christophe Lidon qui s’affiche à la mise en scène de Kiki Van Beethoven (une création), Le Vieux Juif Blonde (reprise avec changement de comédienne), Bonté divine (reprise avec changement de comédien), ainsi que Les Dames du jeudi (créé au CADO, Centre National de Création à Orléans avant d’être programmé à la rentrée 2010 au Théâtre de l’Œuvre à Paris). Son travail se répartit sur les douze mois de l’année mais sa visibilité se concentre en entonnoir sur deux périodes données, propres au calendrier de saison théâtrale. En effet, si nous ne voyons que la partie visible de l’iceberg, la réalité de la partie immergée est autre. C’est pourquoi Christophe Lidon récuse le terme de « cumul » qui renvoie à l’idée péjorative d’accumulation, voire d’agglomération. Avoir plusieurs projets en même temps est avant tout une affaire d’organisation très en amont. Car selon lui, « on ne peut pas faire du théâtre rapidement ».Résultat, les répétitions du Vieux Juif Blonde ont débuté fin mai pour une reprise fin septembre au Théâtre des Mathurins tandis que pour Kiki Von Beethoven, une création, le travail a débuté trois mois avant la première, par modules de quinze jours de répétitions avec la comédienne Danièle Lebrun. Idem pour Jean-Luc Revol qui a géré ses deux créations (Rendez-vous et La Nuit d’Elliot Fall), une par une, sans qu’il y ait de chevauchement. Ainsi, si Rendez-vous était un projet prévu de très longue date (huit ans qu’il est sur le feu !), La Nuit d’Elliot Fall est un projet plus récent qui s’inscrit dans la continuité du Cabaret des hommes perdus (et qui devrait aboutir à un triptyque). Chaque chose en son temps, donc. Pas de précipitation ni d’emploi du temps en forme de casse-tête chinois, même si Jean-Luc Revol avoue qu’il ne sait pas comment font ses « collègues » qui ont plus de deux pièces à l’affiche en même temps. Car il faut aussi trouver le temps de se ressourcer afin de renouveler ses sources d’inspiration, sa créativité. Plusieurs spectacles à l’affiche en même temps c’est aussi la rançon du succès pour des metteurs en scène souvent nommés aux Molières, vitrine incomparable pour se faire une place dans le réseau des théâtres privés parisiens. Rien à voir avec le mode de fonctionnement des compagnies aculées au processus long et laborieux des demandes de subventions pour monter leur unique spectacle de l’année. Ce clivage révèle un système à deux vitesses où la réalité du métier est loin d’être uniforme, selon le circuit dans lequel on se trouve. Pour Christophe Lidon par exemple, le métier relève du travail « d’artisan », voire même de « chef d’entreprise ». Une comparaison forte et décomplexée qui positionne le metteur en scène dans un système de production avec ses délais et ses contraintes, et met en avant un statut plus proche du management que de la création avec ses poncifs romantiques sur l’inspiration et les aléas d’une créativité capricieuse. Mettre en scène est une petite entreprise que l’on dirige avec une équipe qui, au fil de l’expérience accumulée, acquière une méthode de travail commune, donc, plus efficace. De même que la technique se rôde. Si Christophe Lidon reprend aisément Bonté Divine avec un nouveau comédien, Bernard Malaka qui remplace Roland Giraud, c’est que tous les deux ont l’habitude de travailler ensemble. Résultat : compréhension, rapidité… ça glisse comme sur des roulettes. Et à la limite, le contexte passe en seconde position. Que la pièce soit programmée dans un théâtre à l’italienne avec dorures et velours rouge ou dans un théâtre plus anonyme, finalement, le travail du metteur en scène reste le même, le glamour et les paillettes en plus ou en moins. Quand Jean-Luc Revol fait le grand écart entre le prestigieux Théâtre de Paris avec Kad Merad en tête d’affiche et le plus confidentiel Vingtième Théâtre, il ne fait pas de différence dans sa façon d’aborder son métier. A juste titre, « ça reste du travail dans les deux cas ». Car mettre en scène est un métier qui s’apprend, qui se nourrit de l’expérience, s’enrichit et s’affine au fil du temps. On ne s’improvise pas metteur en scène parce qu’on se sent la fibre théâtrale. La mise en scène est une discipline qui relève de la mise en jeu d’une technique acquise. Mais est-ce suffisant ? Evidemment non, sans quoi toutes les mises en scène se ressembleraient. Et c’est là l’enjeu délicat du métier : celui de la création. Comment allier une pratique qui a ses codes et ses conventions à la créativité, qui par essence, sort des cases ? Et surtout, comment laisser libre cours à sa créativité dans le cadre étroit et contraignant du calendrier théâtral ? C’est encore une affaire d’organisation en amont, s’y prendre à l’avance pour se donner le temps de s’imprégner du texte porté à la scène, se laisser infuser par l’œuvre. Christophe Lidon compare ses spectacles à des livres de chevet qui l’accompagnent longtemps, tout au long d’un travail invisible qui commence bien avant le travail concret sur le plateau. Et puis, la contrainte n’est-elle pas propice à la créativité ? voire son cadre idéal ? Avoir plusieurs projets sur le feu en même temps peut même stimuler l’imaginaire et l’énergie créatrice. Et les mises en scène se nourrir les unes les autres… A bon entendeur !Par Marie Plantin.