L'un des plus beaux films de 2022 sera diffusé ce soir sur Canal +.
Sur une île irlandaise, en 1923, deux anciens copains s’enferrent dans une brouille absurde. Martin McDonagh reforme le duo de Bons baisers de Bruges, Colin Farrell et Brendan Gleeson, et signe une fable très noire, très drôle. Première vous la conseille.
Les Banshees d’Inisherin. Encore un titre à coucher dehors pour Martin McDonagh, après Three Billboards Outside Ebbing, Missouri (3 Billboards : les panneaux de la vengeance en VF). Inisherin est une île (fictive) au large de la côte Ouest de l’Irlande, épargnée par la guerre civile qui déchire alors le pays – l’action du film se déroule en 1923. Et une banshee, selon Wikipedia, est « une créature féminine surnaturelle de la mythologie celtique irlandaise, considérée comme une magicienne ou une messagère de l’autre monde ». Dans le film, « Les Banshees d’Inisherin » est le nom de la pièce musicale pour violons que compose Colm Doherty (Brendan Gleeson), gaillard bourru féru de musique. « Mais il n’y a pas de banshees à Inisherin ! », s’étonne le débonnaire Pádraic Súilleabháin (Colin Farrell). Pas grave, répond Colm, ce qui compte c’est la façon dont ça sonne, cette jolie allitération…
Et puis, d’abord, les deux hommes ne devraient pas avoir cette discussion : Colm a décidé de ne plus parler à son vieux copain Pádraic. Comme ça, d’un coup d’un seul, du jour au lendemain. Le film s’ouvre sur ce coup de tonnerre, qui vient mettre fin à une routine amicale immémoriale. Tous les jours à 14 heures, normalement, Pádraic vient frapper à la porte de Colm pour qu’ils aillent ensemble écluser quelques pintes de bière à la taverne du coin. Ils font ça depuis Dieu sait quand. Mais cette fois-ci, le second explique au premier qu’il souhaite mettre un terme à leur amitié, allant jusqu’à lui demander de ne plus jamais lui adresser la parole. Le bon Pádraic est désemparé. Le film examinera les conséquences, dans le cœur du brave homme, puis au sein de toute la petite communauté insulaire, de cette décision incompréhensible et brutale.
Pour son premier long-métrage situé en Irlande, le dramaturge-devenu-réalisateur Martin McDonagh, né à Londres de parents Irlandais, choisit le ton de la fable absurde, un peu Beckett, un peu Pinter. D’un argument très mince, qui assume son artificialité, il développe une réflexion cocasse, cruelle, sur la condition humaine et le désespoir existentiel.
Tournant en rond sur cette magnifique terre irlandaise battue par les vents, les personnages du film s’interrogent sur le sens à donner à leur vie : faut-il comme Pádraic se satisfaire de la réconfortante succession de jours tous semblables ? Ou comme Colm espérer mieux, une forme de transcendance – quitte à provoquer celle-ci dans la violence ? Au loin, les échos assourdis de la guerre civile qui déchire le pays (et que personne sur l’île ne semble comprendre) souligne la dimension métaphorique de la brouille entre les deux ex-amis.
Une femme, Siobhan, la sœur de Pádraic (fantastique Kerry Condon), sait qu’il y a d’autres horizons à découvrir, autre chose dans l’existence que ces journées sans but et ces nuits houblonnées. Tous les autres personnages, archétypes d’une pastorale irlandaise éternelle (flic, curé, idiot du village…), semblent à l’inverse condamnés à se cogner contre les murs de cette prison à ciel ouvert.
Sombre, assez désespéré, mais aussi très drôle, le film doit beaucoup à ses acteurs, tous très subtils. Gleeson incarne avec beaucoup de profondeur son personnage de mélomane taciturne, tandis que Colin Farrell trouve sans doute ici le meilleur rôle de sa carrière, passant génialement, en un frémissement de ses fameux sourcils, de la bonhomie à l’hébétude, puis au désespoir absolu. Ils prennent tous les deux un plaisir manifeste à dire les dialogues de McDonagh, à les savourer comme on sirote une épaisse bière brune. Des dialogues qui font très dialogues – mais c’est fait exprès. Des dialogues qui « sonnent » superbement. Comme le titre de ce film, bizarre et poétique, si agréable à prononcer.
Bande-annonce :
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